Le concert de ce soir au théâtre de Roanne, est à l’initiative de l’association Canal Jazz fêtant ses 30 ans d’existence avec toute l’énergie de l’équipe et son amour du jazz. Le public est au rendez-vous, remplissant une bonne partie des fauteuils.
Ambiance posée dès le départ où la voix de Thana Alexa se mêle au chant du saxophone ténor de Chais Baird qu’il échange pour un ewi (instrument à vent électronique), en utilisant maints effets qui distordent les sons pendant qu’au clavier une ritournelle tourne en boucle et qu’Orlando le Fleming jongle entre contrebasse et basse électrique. Une belle improvisation au piano par John Escreet accompagné par la batterie qui répond du tac au tac et s’insère dans les phrases du piano.
La tension est présente dans cette musique très tendue, que nous prenons en pleine figure dès les premières secondes ; les sons saturés déchirent l’atmosphère, les dissonances envahissent l’espace tandis que la rythmique roule comme un volcan.
Une explication de texte s’impose ; Antonio Sanchez prend la parole et nous explique que son dernier album, « Lines in the sand« , tire son inspiration de la condition des migrants en général, et en particulier du contexte et de leur traitement par les Etats Unis à la frontière avec le Mexique, son pays natal. Et d’un coup, tout s’éclaire. Bien mieux qu’un reportage, la musique du quintet nous renvoie la violence, l’urgence, la frayeur, la menace, les impasses, sans aucun répit ; les rares moments de calme sont délicieux, mais chargés de l’angoisse de leur fin imminente.
La basse d’Orlando le Fleming introduit le second morceau avec des sons très électriques accentués par des effets discordants, le calme revient avec l’arrivée du chant et du sax qui enchaîne sur un chorus intense jusqu’au paroxysme, moment saisi pour passer la parole à John Escreet au clavier du Rhodes ; le rythme s’apaise, on reprend son souffle, mais ce n’est que pour mieux repartir dans une ambiance d’épouvantes sur laquelle se superpose la voix aérienne de Thana Alexa. Les sons saturent, volontairement à la limite du tolérable, les cymbales vocifèrent, les peaux claquent sous les baguettes.
Une ballade nous permet de revenir au calme mais pour combien de temps ???? La voix superbe et parfaitement maîtrisée de Thana nous subjugue, mise en valeur par l’accompagnement ciselé de tous les musiciens.
Le morceau suivant démarre sur une intro au piano en ostinato. A nouveau la voix de Thana et le souffle du saxophone de John ne font qu’un, quelle que soit la cadence des notes !!!!! Nous pouvons également apprécié une belle improvisation d’Orlando à la basse. La parole circule, des duos éphémères se font et se défont, l’écoute est impressionnante, particulièrement entre clavier et percussion qui se font face.
Après un rappel chaleureux du public Thana Alexa revient seule sur un scat très agréable rejoint successivement par les autres musiciens, suivie d’une belle histoire entre Thana et Antonio qui soufflent à la perfection le chaud et le froid, et alternent avec élégance jeu délicat et jeu endiablé.
Pour nous conduire jusqu’à la fin, Chais Baird au ténor et John Escreet au Rhodes s’engagent dans une partie impressionnante de questions/réponses, à la manière d’une battle de rappeurs.
Mais, me direz-vous, rien sur Antonio Sanchez ? Pas de chorus ? Pas de morceau de bravoure ? A dire vrai, on peut dire que côté batterie, le concert entier est un chorus. Les cymbales et les fûts n’ont pas droit à la pause syndicale. Certes, il y a des accalmies, des teintes, des couleurs, des tintements saupoudrés, des frottements susurrés, mais il y a surtout une énergie des tous les instants, une précision redoutable et une écoute infaillible. Antonio Sanchez habite littéralement son stand, comme un torrent habite son lit à la fonte des neiges.
Soirée mémorable qui ne laisse pas indifférent et pendant laquelle le temps a été suspendu.