06/10/2023 – Leïla Martial « Jubilä » au Grenoble Alpes Métropole Jazz Festival

06/10/2023 – Leïla Martial « Jubilä » au Grenoble Alpes Métropole Jazz Festival

Leïla Martial tire ses émotions et son public vers le beau

« Jubilä, solo pour vocaliste multi-timbrée », tel est le titre donné par Leïla Martial à son nouveau projet, qu’elle présente de la manière suivante : « Ma voix est un archipel. J’y ai tous les âges, j’y parle toutes les langues et y raconte des histoires sans paroles. Théâtre vibratoire, pont entre le silence et le cri, la solitude et le multiple, le mourant et le nouveau-né. La voix se fait en chantant. Alors je chante pour voir. Mais que voix-je ? »

Le spectacle présenté ce soir a été peaufiné toute la semaine au sein même de l’Hexagone. Dans sa présentation, Jérôme Villeneuve, Directeur de l’Hexagone, nous dit la joie qu’il a d’accueillir ce projet, qu’il qualifie de « magique, original et puissant ».

Leïla fait son entrée par la salle, vêtue d’une longue robe de nymphe et d’une « couronne de fleurs avec des rubans qui pendouillent » ; elle commence par distribuer des luges pour aider son public à redescendre quand le moment sera venu. Le ton est donné.

Vient ensuite le basculement vers l’existence de l’artiste, emporté par le souffle de la création, dont la puissance va emporter toute la salle.

En s’installant derrière une table sur laquelle trônent quelques mignonnettes, Leïla questionne en faisant siffler la première : « Qui n’a jamais fait ça ? (silence dans la salle) Qui en a fait une obsession ? (re-silence dans la salle) », et entame derechef son interprétation toute personnelle du Prélude de Bach en do majeur pour voix et mignonettes. La voix s’enhardit au gré des goulots, franchit allègrement les frontières du registre de cordes vocales normalement constituées, se déchaîne entre scat et swing (on entendrait presque une batterie tant le rythme est  marqué par les onomatopées intercalées) et s’abîme dans un cri de diva indomptable ; point d’autre salut que de vider une petite bouteille, vite atteinte par la folie du gosier. Leïla finit par mater la révolte dans un arpège élégant, dont la dernière note donnée par la bouteille est parfaitement en accord avec les pérégrinations a capella qui la précèdent. Une grande audace qui force l’admiration.

A la panique succèdent le rire et les pleurs et toute une palette d’émotions transmises de la plus belle des manières ; elles laissent vite la place à un moment de pure poésie. Mélodie et harmonies suaves se construisent au fur et à mesure sur la machine à sons (loopers et autres octaveurs), pendant que fumée et lumière créent un écrin de pureté au sein duquel évolue l’artiste.

Pas le temps de s’alanguir, place à Deedjay Leïla pour une séquence de beat-box intense, alternance de bruits percussifs et d’envolées lyriques grandiloquentes. Leïla harangue la salle du haut de son tabouret, puis se défait de sa robe bleue pour laisser place à une robe rouge pétant qu’elle fait tourbillonner comme une ado pour terminer en titubant dans une ambiance de fin de soirée de gala où la vedette s’épanche en remerciements en feignant la surprise, d’abord en anglais, puis se lance dans des variations polyglottes qui font le tour des cinq continents. Vaincue par l’incompréhension, l’artiste met en scène l’ambiguïté de sa condition, mêlant nudité et calfeutrage, dépouillement et flamboyance, tout en exécutant une parodie de haut vol et désopilante de karaoké avec piano-toy à bretelle façon disco.

Comme bien souvent, « la soirée se termine avec Jean-Sébastien (mini)Bach » ; pour l’occasion, Leïla s’empare de sa flûte à goulots artisanale pour une dernière improvisation enivrante et époustouflante.

Après une standing ovation amplement méritée, Leïla Martial entonne une comptine célébrant l’enfant qu’elle n’aura pas, présent sur scène le temps d’une chanson, et qui lui laisse l’espace indispensable à sa création foisonnante. Comme pour tous les sujets abordés au cours du spectacle, Leïla choisit la grâce comme clé de lecture de ses émotions.

Leïla Martial a fait de sa voix l’objet de toutes les expérimentations, l’entraînant vers des territoires insoupçonnés. Véritable voyage intérieur, Jubilä le bien nommé en est l’illustration ….. jubilatoire.

 

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