05/11/2023 – Le quarante cinquième RhinoJazz(s) dans le rétroviseur

05/11/2023 – Le quarante cinquième RhinoJazz(s) dans le rétroviseur

Les promesses tenues d’une programmation «phénoménale» et passionnante

Judicieusement concoctée par son directeur artistique Ludovic Chazalon qui n’a pas son pareil pour nous dénicher des propositions inouïes, cette quarante cinquième édition du RhinoJazz(s) -qui a offert durant trois semaines pas moins de quarante et un concerts dans vingt-neuf communes- aura connu de nombreux moments forts en émotion, tout à fait conformes à la ligne éditoriale d’une programmation qui mettait particulièrement en valeur des formations intimistes proposées en des lieux adéquats. Ce n’est donc pas un hasard si parmi les rendez-vous les plus mémorables de cette année on retiendra avant tout des solos et des duos pour la plupart donnés dans des églises, ce qui pourrait expliquer la communion et la ferveur particulière qui s’en sont dégagées. Rien (ou presque) de phénoménal au sens grandiloquent du terme, mais une sacrée belle galerie de «phénomènes» comme on les aime en matière de personnalité atypique et de talent hors-norme.

Pour tracer ce long debrief d’une édition marquante, j’ai préféré vivre ces trois semaines de festival sans tenir de road-book ni prendre jamais la moindre note, laissant après coup(s) la mémoire du cœur -organe qui reste le meilleur des disques durs- en restituer d’un jet les souvenirs les plus indélébiles.

 

 

Solos et duos au top

Tout avait commencé le 1er octobre avec un duo dans une église, avant de s’achever le 22, par… un duo dans une église. A la Terrasse sur Dorlay (voir ici), Marc Loy (chant et guitare) et Diabolo (harmonica) -pour lesquels un tel lieu était une première dans leurs longues carrières respectives- faisaient preuve d’une complicité fraternelle et facétieuse pour ouvrir le Festival dans la bonne humeur,

quand à Villars les (vrais) frères EnhcoDavid à la trompette et Thomas au piano- dévoilaient une osmose fusionnelle qui a fait de ce concert de clôture un pur ravissement (voir ici).

Deux rendez-vous auxquels on peux ajouter entre temps celui du duo Christophe Monniot Didier Ithursarry ( voir ici) en l’église de Génilac, qui chacun à leur manière n’ont eu aucune peine à séduire un public très enthousiaste. Tout un symbole, bien à l’image de cette 45 édition du Rhino où la programmation mettait justement cette année un accent particulier sur des propositions plus intimistes, présentant nombre de formations «réduites» (solos, duos, trios) dans des lieux favorisant la proximité relationnelle avec les spectateurs. Et donc l’émotion forte.

Ce n’est donc pas un hasard si, parmi les nombreux moments exceptionnels que nous aurons vécus au fil de ces trois semaines (où même en s’y rendant chaque soir on n’aura pu voir «que» la moitié des artistes  programmés ça ou là, soit vingt concerts quand même…) deux solos proposés également dans de petites églises arrivent d’instinct dans le peloton de tête de nos plus beaux souvenirs. En effet, tous ceux qui ont eu la chance d’y être n’oublieront pas de sitôt le phénomène Harold Charre, pianiste extra-ordinaire qui a littéralement scotché l’auditoire. En chaussettes,debout, à demi assis genou plié sur son siège, le garçon qui ne tient pas en place semble entrer dans un état second dès lors qu’il fait face à son piano droit. Touchant voire drolatique parfois, à mi chemin entre Jerry Lee Lewis et Jerry Lewis tout court, cet improvisateur génial est totalement habité lors qu’il se lance dans un répertoire selon l’humeur de l’instant, où transpire sa très vaste culture musicale qui s’étend d’ Ellington à Chopin en passant par Lennon ou Marley. Jazz, blues, classique, pop…autant de registres éclectiques abordés chaque fois avec une musicalité à fleur de peau, proche de la transe, dans une finesse émotionnelle qui n’a d’égal que l’humilité désarmante du bonhomme.

Une prestation époustouflante dans l’écrin choisi de la petite église de Cellieu, comme ce fut pareillement le cas la semaine suivante dans celle de Saint-Paul en Cornillon pour le solo cette fois d’un accordéoniste, l’immense compositeur brésilien Joao Pedro Teixeira. Là encore où l’on garde en mémoire un solo de Guillaume Latil au violoncelle, il s’est passé ici quelque chose d’une rare intensité, et qui restera dans les annales du Rhino comme un merveilleux instant de ferveur. Une communion qui tient de l’envoûtement, entre ce maître des touches nacrées et un public profondément touché par l’élégance et la sensualité du virtuose, dans un répertoire tout aussi séduisant mêlant avec grâce ses propres compositions (dont deux ont été spécialement écrites et jouées pour la première fois à cette l’occasion) à des thèmes classiques ou jazz que l’on connaît tous. Et qu’il relit  et relie avec un doigté aussi farouche qu’il sait se faire extrêmement délicat. Son pot pourri final croisant Bach, Ravel, Piazzolla et tant d’autres, reste un monument du genre, gravant au sceau de la Beauté pure cette soirée voluptueusement enlevée.

 

Déclics et des claques

 

Pareillement inoubliables, au rayon des coups de foudre où la musique nous aura comme peu souvent fait vibrer, triper, kiffer à donf quoi ! Deux autres rendez-vous auront marqué ce Rhino 2023, deux moments où il fallait absolument être présent pour se prendre le sommet du pied.

D’abord avec le trio du violoniste globe-trotter Mario Forte (voir ici), composé du beat-boxer, vocaliste et rappeur hollando-caribéen Andy Nivalle, et aux percussions -en lieu et place du brésilien DD Tenorio- un remplaçant de premier choix avec rien moins que Minino Garay rentré dans le moove au pied levé. Et dans le groove surtout, sur ce nouveau projet du passionnant Mario, prodige inventif en alchimie sonore, qui Fort(e) de son impressionnante bowless technic (sans archet), lance une pulsation rythmique qui puisera dans tous les registres musicaux possibles (quel éclectisme dans les références!) pour dérouler sans interruption durant 75 mn un continuum vibratoire insensé.

Et si le violoniste virtuose est un phénomène notoire, son compère Andy l’est tout autant. Un véritable extra-terrestre en matière de travail buccal et guttural, sidérant d’aisance à imiter aussi bien un instrument, des voix multicolores, un son de la nature, tel ou tel bruit, et de signifier de manière innée une ambiance sonore spécifique.

A ce talent follement hors-norme s’ajoute chez celui qui est par ailleurs chorégraphe celui du body-talk (on parlait de moove), s’exprimant pareillement avec son corps fluide et sa plastique parfaite, dans d’incessants mouvements, déplacements, poses et attitudes finement sentis, sa grâce naturelle et fascinante participant énormément au rendu très esthétique de la prestation. Une pulsation triangulaire où l’impulsif rythmicien Minino -aux balais tour à tour caressants ou tonitruants- apporte sa pierre à l’édifice en prenant visiblement son pied à se fondre «au feeling» c’est bien le mot, dans ce groove perpétuel.

Nous sommes quelques -un(e)s a avoir d’instinct pris le même train en marche, sans jamais décrocher le wagon jusqu’au terminus extatique. Mais bien malheureusement pas assez, puisque ce concert incroyable, présentant une musique impossible à comparer à quiconque et encore jamais entendue ni au Rhino ni ailleurs (hormis à New-York où c’est ce qui se fait actuellement, m’expliquera Mario qui y réside et y travaille) est l’une des rares déceptions de cette édition en termes de public. Seule une soixantaine de spectateurs auront joué le jeu de la découverte dans cette grande et belle salle de L’OPSIS à Roche-la Molière, si confortable pour savourer un tel moment de (très bonne) musique. Bien dommage ! Mais l’on sait déjà que le passionnant compositeur qui travaille en ce moment avec John Zorn n’en a pas fini avec le Rhino où de futurs projets sont d’ores et déjà dans les tuyaux de Ludo. A suivre de près …

 

Thank you Tankus…

Autre événement marquant sur le plan musical et à fortiori scénique, peut-être allez…, osons dire  LE concert définitif de l’édition 2023, si l’on veut vraiment cocher absolument toutes les cases de ce que l’on aime et que l’on considère comme le must du moment en la matière : évidemment Tankus the Henge au Quarto d’Unieux (voir ici). A la déception du manque d’engouement pour le concert  de Mario Forte, répond l’immense bonheur de voir une salle de plus de trois cent cinquante places quasi sold-out, croisant les nombreux abonnés de ce lieu (qui répondent toujours présents aux propositions du RhinoJazz(s) mais il faut dire qu’ils sont particulièrement gâtés !) à un public de connaisseurs venus d’assez loin. C’était assurément le bon choix s’il n’en fallait qu’un, puisque la réputation du sextet londonien d’être l’un des meilleurs live européens actuels n’est en rien usurpée, preuve à l’appui.

Dans un incroyable et audacieux mélange musical de tout ce que l’Angleterre nous a exporté de meilleur en un demi-siècle, la bande au rock cuivré du phénoménal (encore un ) Jaz Delorean -au chant et piano- a d’emblée enflammé le public qui n’a pas tardé à décoller de son siège.

 

Mis judicieusement au parfum par la sono qui a diffusé avant l’entrée en scène une bande son des Beatles, c’est toute l’ambiance intemporelle du fameux swinging London dans laquelle nous nous sommes plongés avec délice, un lâcher prise total dans le barnum vivifiant du rock’n’roll circus où le son tonique et si typique d’outre-Manche vous saute d’instinct à l’oreille. Entre rock des fifties, ragtime new-orleans, gypsy jazz ou soul-funk brûlant passés au mixer, c’est toujours ce fameux éclat unique de la pop mélodique anglaise qui enflamme les chansons du charismatique Jaz, bête de scène tant au clavier qu’à la voix, bluesman, jazzman, rocker à l’énergie punk (on pense souvent à Ian Dury, aux Pogues, à Madness…) solidement soutenu dans toutes ses audaces par un combo nickel et fracassant. On annonçait un ovni fascinant et un rendez-vous explosif, mission plus qu’accomplie !

Là encore, il se pourrait bien qu’une nouvelle collaboration soit envisagée avec Jaz Delorean en piano solo l’an prochain… Alléchant !

 

Nitro ni pas assez…

Et tiens, pendant qu’on est au rayon des matières inflammables et explosives  de forte intensité, c’est le moment de rappeler quand même, en matière de blues-rock arrosé de gazoline, la bluffante prestation de Manu Lanvin et son power trio Devil Blues en ouverture de son pote texan Neal Black. Là aussi la mise au parfum n’aura pas lambiné alors que le réputé trio avec Karim Bouazza  à la batterie et Nicolas Dellanger à la basse était rejoint, en invité surprise et local de l’étape, par l’harmoniciste complice..  On sait que Manu était malade et bien à plat deux jours avant cette ultime date à la traditionnelle Nuit du Blues, qu’il a pour la première fois en vingt ans de carrière envisagé de devoir annuler. Il m’a confié que le seul médicament qui l’a aussi vite remis sur pied est toute l’adrénaline que lui procurait l’envie d’y jouer. Et là le fils de l’acteur ne fait pas de cinéma, c’est un authentique, un pur passionné de son art qui vit pour le partager avec le public dans des live eux aussi réputés pour être de furieux shows.On a été servi, avec une voix du coup encore plus abrasive et un son de guitare monumental, le patron ayant tout donné dans un long set robuste et généreux jusqu’à plus soif. Il aurait presque suffit tant il a su nous rassasier, mais celui de l’affable Neal Black, plus boogie du fait de la présence du claviériste new-yorkais Mike Lattrell, était suffisamment diabolique lui aussi pour nous tenir en présence d’autant que comme prévu, Manu  a réenfourché sa guitare pour les rejoindre et partager les derniers morceaux de cette soirée carabinée comme annoncée.

 

Flammes & Co….

On ne peu parler des grandes révélations de cette édition et de ses concerts les plus mémorables sans évoquer bien sûr celui du chanteur et saxophoniste de Cadix, Antonio Lizana. Encore un phénomène de plus, qui affole le milieu et crée le buzz depuis quelques temps, avec la sortie de son cinquième album «Vishuddah» (chronique à venir) paru la veille de sa venue à Rive-de-Gier (voir ici) où l’intense artiste espagnol qui marie son flamenco originel au meilleur du jazz d’aujourd’hui, a joliment garni l’historique salle Jean Dasté qui a vu naître le Festival. Une combinaison déjà pratiquée par de très grands artistes -souvent jouant des cordes- mais où le soufflant apporte une patte inédite et très convaincante. Certes le flamenco est ici bien ancré, et notamment avec la présence très affirmée du danseur et vocaliste El Mawi de Cadiz, mais ça joue aussi terriblement jazz dans ce qu’il a de plus étincelant et groovy aussi avec la rythmique virvoltante de Shayan Fathi aux drums et Arim Keshishi à la basse. Mais on a surtout découvert à cette occasion le merveilleux pianiste barcelonais et jazzman de haute voltige Daniel Garcia, expert en flamenco-jazz, dont je découvre après coup (et vous le recommmande vivement ! ) le sublime album Travesuras paru chez ACT en 2019 (comme notre ami commun Matthieu Saglio qui lui est à Valencia).

 

Jazz & world

Quand l’excellence du jazz et toute son inventivité se fond à merveille dans les musiques dites du monde, c’est évidemment le cas du latin-jazz depuis des décennies. On en a eu le meilleur des exemples avec son ultime géant, Monsieur Chucho Valdès à quatre jours de ses 82 printemps. Géant dans tous les sens du terme, le colosse aux mains agiles a déroulé un set tout en élégance, entre délicatesse et l’énergie calibrée de son fougueux quartet (batterie, percussions, basse). Un panorama encyclopédique de la musique, jusqu’à embarquer Mozart dans ses tourneries afro-cubaines. Le maestro qui était pourtant l’une des têtes d’affiche de ce 45e Rhino n’aura pourtant pas déplacé les foules, ne remplissant qu’à moitié le vaste opéra stéphanois. Un parterre cependant  attentif et vibrant qui s’est régalé à juste titre.Tant pis pour ceux qui ont préféré coincer devant le rugby !…

Autre attraction, à l’autre extrémité du même registre après la figure tutélaire du latin-jazz, la relève était aussi à découvrir deux jours plus tard avec la venue d’Yilian Canizarès, violoniste et chanteuse cubaine basée en Suisse et qui a déjà partagé la scène avec le maestro qu’elle a subjugué. On comprend pourquoi quand on se laisse emporter par sa vivacité lumineuse, l’aura scénique qu’elle dégage au centre de son Resilience trio. Une esthétique  originale qui emmène les bases des rythmes cubains et de l’afro-jazz vers des sonorités bien actuelles. Ajouté au charme de la demoiselle qui sait capter son auditoire, les deux cents veinards qui avaient trouvé place  en ce lieu insolite et éphémère sont tous sortis avec la banane aux oreilles et les  yeux pétillants. Il faut dire que la société Barbier qui accueillait pour la première fois le Rhino en Haute-Loire, dans ses entrepôts industriels de Monistrol, a été remarquable d’efficacité avec un personnel motivé et très pro pour transformer leur cathédrale de palettes filmées par du plastique (c’est d’ailleurs leur activité) en salle de concert d’un soir, dont Jules  Bador a su tirer parti pour créer un univers de lumières adéquates.

Au delà de la pertinence musicale toujours au rendez-vous dans ce type d’équation, on aime particulièrement ces propositions originales  qu’affectionne le Rhino depuis longtemps et qui fait partie aussi de son ADN. Pour mémoire, c’était aussi d’ailleurs ce qui faisait typiquement l’attractivité du Printemps de Pérouges à ses origines, quand il apportait et montait des plateaux artistiques dans de vastes hangars ou sites industriels de la Plaine de l’Ain, avant qu’il change de dimension et de cap. Cela reste pourtant une bonne idée, la preuve…

 

On ne peut parler de mix entre jazz et world sans oublier par ailleurs notre cher Toto ST, artiste en résidence dont c’était la troisième venue au Festival où il a, avec l’aide précieuse et efficace d’Astrid Baïlo, assuré les ateliers proposés à quelque 2000 scolaires. Son concert en quartet à Sorbiers (voir ici),autour de son dernier opus Ava-Tar, a fait rayonner son charisme solaire sur une salle pleine qui n’a eu aucun mal à choper le groove de son répertoire afro-soul et funky.

 

La relève

La relève, cette fameuse new generation au talent souvent presque insolent quand on mesure tout ce qu’ils ont déjà digéré dès leur jeune âge en termes de nourriture musicale,c’était aussi le pianiste arménien Yessaï Karapetian en trio  dans l’antre lecorbusienne de Firminy, avec son frère Marc à la basse, et un incroyable batteur qui pour beaucoup aura été l’attraction de ce set, fascinés par le jeu atypique mais hautement précis de Miguel Russell. Un nom à retenir et à suivre, comme le petit prince de la guitare Gabriel Gosse  qui a déjà un parcours costaud dans la sphère jazzistique. Un univers que ce coloriste des contrastes et virtuose des reliefs bouscule avec ses deux puissants acolytes, les tonitruants batteur Antonin Violot et contrebassiste Bertrand Beruard qui rivalise de pédales d’effets avec le guitariste chanteur.

A l’instar des compos de Yilian ou de Yessaï dans des registres totalement différents, celles de Gabriel oscillent entre élégance raffinée et fougue, transformant le Château du Roziers à Feurs en jazz-club chaleureux avec une intense proximité entre la scène et le parterre, résolument converti en dance floor par le très sympathique trio qui a fait généreusement durer le plaisir.

 

Faire durer le plaisir, on n’aurait pas dit non bien au contraire, pour le solo d’une autre jeune pousse en révélation, la pianiste suisse Marie Krüttli qui elle n’était pas programmé dans une église mais dans l’espace immaculé et ultra contemporain de la galerie stéphanoise Ceysson & Bénetière. Un majestueux Yamaha de noir laqué étincelant au milieu des tableaux colorés aux cimaises, l’endroit où les frères Belmondo avaient initiés une superbe déambulation cuivrée l’an dernier était particulièrement bien choisi pour plonger tête vide dans l’univers atmosphérique de la pianiste qui façonne ses ambiances sonores au gré de son ressenti.On avait écrit que sa performance s’apparenterait ici à une œuvre éphémère mais on ne croyait pas si bien dire puisque la musicienne s’est définitivement éclipsée après 40 mn de jeu. C’est un peu court quand il faut un certain temps à appréhender son jeu et tenter de décrypter les chemins par lesquels elle veut nous mener.D’autant qu’elle est partie comme des tréfonds de l’âme, dans des textures aux résonances très sombres, et que nous pouvions espérer qu’au fil de ce solo d’une traite, une éclaircie sonore viendrait apaiser ce flux tortueux.Et si nous étions prêts à nous abandonner pour la suivre, nous n’étions pas préparés à nous faire ainsi abandonner, si tôt, d’un coup net et sans jamais un mot. Etrange atmosphère pas vraiment réchauffée dans la froide blancheur de l’espace, et léger malaise ambiant  entre une artiste et son auditoire qui ne se seront pas compris. C’est rare, mais suffisamment furtif pour être aussi vite oubliable.

 

 

 

Hommages et dessert

Enfin, les concerts «hommage» ont été de très grande qualité et ont connu de beaux succès. Au Radiant Bellevue de Caluire qui poursuit sa collaboration avec le Rhino autour des musiques de films le saxophoniste romain Stefano Di Battista a affiché complet pour son «Morricone Stories», magnifique répertoire qui revisite en les jazzifiant quelques grandes B.O de son compatriote légendaire. Avec un quartet de haute volée où figurait finalement le brillant pianiste et régional de l’étape Fred Nardin qui a signé les subtiles arrangements de ce programme enchanteur. Un concert non dénué d’humour qui a  révélé aussi le côté facétieux du saxophoniste qui a multiplié les apartés et autres anecdotes rigolotes dignes du stand-up avec le bagou propre à nos amis Italiens.

Des interventions qui furent tout aussi drolatiques avec l’humour pince-sans-rire du tromboniste Daniel Zimmermann qui lui revisitait Gainsbourg au Théâtre de la Renaissance à Oullins. Un quartet là encore de pointures qui nous aura fait réentendre les mélodies du grand Serge dans des versions très originales, avec en cinquième homme invité le redoutable saxophoniste Pierrick Pedron. On aura apprécié tout autant les climats dessinés par la guitare ciselée de Pierre Durand, que la rythmique soutenue au carré par notre bassiste lyonnais Jérôme Regard et un batteur que l’on oublie parfois de classer parmi les meilleurs en la personne de Julien Charlet (réécoutez par exemple son travail au sein des Volunteered Slaves sur l’album The Day After où figure entre autres une reprise du Rock It d’Herbie Hancock, et vous comprendrez pourquoi…).

On va ranger dans la catégorie hommage ( à sa propre œuvre comme à son père qui l’initia au duo) le concert d’ Ibrahim Maalouf en duo avec son merveilleux guitariste belge François Delporte, formule proposant de retrouver en format intime et épuré quelques unes des nombreuses mélodies écrites par le trompettiste star. Et qui dit star dit attractivité, avec une tête d’affiche qui n’aura eu aucun mal à blinder dans un temps record cette date à Saint-Chamond vite sold-out (quelque 800 personnes) malgré un tarif jamais pratiqué, à fortiori pour un duo, dans l’histoire du festival. Comme partout et sans surprise,l’incontournable souffleur qui est aussi pianiste sur cette formule a su charmer un auditoire tout acquis à la vedette et qui a succombé sans peine au raffinement indiscutable de ces «quelques» mélodies. Quelques, car si bien sûr il n’était pas question d’entendre les quarante mélodies de son album du même nom (et enregistré pour les quarante ans du compositeur), le public aurait sans doute aimé en entendre un peu plus. Plus de musique et moins de parlote chez un musicien pourtant bien conscient de son travers, qui l’avoue sans peine et ne cesse de s’en excuser tout en en remettant une couche, à faire passer Dédé Manoukian pour un taiseux. C’est dire ! Comme l’ami Stefano, Ibrahim pourra toujours envisager de se reconvertir dans le stand-up le jour où il rangera son instrument dans son étui…

Enfin, même si je n’ai pu assister au concert du Natural Woman Band (proposé le même soir que Joao Pedro Teixeira) les échos de ce traditionnel rendez-vous gospel à l’Ecluse de Lorette ont été excellents, saluant le beau travail de l’équipe réunie autour de la chanteuse Tatiana Granti pour rendre un vibrant hommage à la reine de la soul Aretha Franklin.

 

Mais encore…

Pas vus non plus pour cause de doublon voire de triplé de la programmation sur certaines dates, on sait par ailleurs que de nombreuses propositions on rencontré leur public dans une très bonne ambiance, notamment pour Steeve Laffont et son quintet qui a permis de revoir la légende de la basse Dominique Di Piazza, Alexis Evans en octet, Michel Fernandez avec ses acolytes du Magnetic Orchestra, Sophie Alour et son dernier projet, les Swing Gamblers ou encore Jungle Cats pour n’en citer que quelques autres.

Pas de doute, cette quarante cinquième édition du RhinoJazz(s) aura été particulièrement riche et passionnante, tenant largement ses promesses quant aux merveilleux moments musicaux qu’il nous réservait, souvent hors des sentiers battus. Encore un grand merci et chapeau bas au judicieux Ludo pour nous offrir un panorama artistique si pertinent. Vivement l’année prochaine où les belles surprises ne devraient, comme toujours, pas manquer !

Auteurs/autrices