Soirée pimentée au Solar, avec Géraldine Laurent Quartet
C’étaient les fièvres du jeudi soir, le 7 décembre dernier au Solar de Saint-Etienne. La première rampait cachée sous quelques masques revenus (dont celui du pianiste Paul Lay). La seconde hissait haut la température ambiante, malgré un public un peu restreint. Diagnostic, il y avait du virus partout. Mais on ne retiendra que celui inoculé, vivant, par un quartet de grande classe et dont l’effet a été immédiat.
Sur le plateau et sous les casseroles, la saxophoniste Géraldine Laurent, auréolée de ses deux récompenses aux Victoires du Jazz 2023*, présente « Cooking », son quatrième album sorti en 2019. Inutile de dire qu’on est loin de la daube, un vrai festin que les airs mitonnés par la cheffe et son équipe d’extras. C’est justement Cooking , le titre-phare de l’opus, qui ouvre la soirée. Le sax alto étire l’intro et sur le fil un brin lyrique, voilà que s’étend bientôt la sensible fulgurance du piano. Ça tricote méchamment.
Quel toucher que celui de Paul Lay, chorégraphe ou sculpteur de notes, selon qu’il les glisse ou les travaille au cœur. Pas étonnant que Laurent de Wilde, parrain du Solar (et producteur, d’ailleurs, des deux derniers opus de Géraldine Laurent)**, l’ait qualifié de « Marvel du piano, un super-héros des 88 touches ». Tous deux sont bientôt rejoints par la batterie véloce mais nuancée de Donald Kontomanou, tandis qu’un drôle de dialogue se noue entre l’alto et la contrebasse de Yoni Zelnik, le complice de la Niortaise depuis vingt-cinq ans.
La première sensation, là, tout de suite? Le son global est impeccable, ça groove d’emblée, osmose, unisson, son-fusion. Bref, je ne sais pas pour les autres, mais je me sens, comment dire, en jazz qui rassure. Un jazz bien nourri, poussé dans des terroirs connus, reconnus, propices à enfanter des fruits nouveaux, et prolifiques, et surprenants.
Géraldine Laurent, rencontrée un peu avant le concert, parle en toute simplicité de cet album, dont dix titres sur les onze sont des compositions: «Je fais depuis longtemps beaucoup de reprises car j’adore les standards dont je fais un peu la prolongation, il y a tellement de beaux thèmes. Mais là, j’ai voulu faire des compos qui soient comme des petites histoires, avec un côté un peu universel, coloré, pimenté (comme sur la pochette du disque). Ce sont des morceaux que j’ai d’ailleurs un peu construits comme des standards, j’aime beaucoup le jazz des années 60. Ce Cooking est un clin d’oeil au Cookin’ de Davis, c’est aussi un hommage rendu à la cuisine, j’adore manger et puis il y a beaucoup de points communs et de synonymes entre la cuisine et la musique. Ici, pour la saison 2 de ce quartet, on est comme dans une brigade de cuisine, chacun a son rôle pour qu’à la fin il en sorte quelque chose de bon». Sûr que c’est bon !
La soirée se poursuit avec un Next joué à toute vitesse, au chorus percussif conquérant. On entendra aussi Day off, «en hommage aux jours off des musiciens », une ballade aux notes buissonnières, toutes ouvertes pour gamberger. Ou bien Room 44 », que la saxophoniste appelle désormais Room service. Il faut dire que, côté tempo, ça sent le coup de chaud. Citons encore Boardwalk, un titre cambré par les courbes d’un alto dont la anche semble, par moments, geindre en douceur. Le set se termine, au rappel, avec Goodbye Pork Pie Hat, un hommage de Charlie Mingus à Lester Young, repris par Géraldine Laurent dans At Work , son précédent opus. Que voulez-vous que je vous dise, que du gratin dans cette soirée.
* En catégorie Artiste de l’année et en catégorie Concert.
** At Work en 2015 et Cooking en 2019, tous deux produits par Laurent de Wilde (Gazebo/l’autre distribution) avec le même quartet.