12/12/2023 – Colin Stetson, Stian Westerhus & Erland Dahlen « 1017 » au Périscope

12/12/2023 – Colin Stetson, Stian Westerhus & Erland Dahlen « 1017 » au Périscope

Rencontre avec le futur du jazz…

Fip l’avait annoncé la veille sur son antenne : c’est un concert à ne rater sous aucun prétexte car ce projet « 1017 » ne se produit que rarement… Le public lyonnais a reçu 5/5 l’appel de l’événement et la grande salle du Périscope est pleine comme un œuf pour accueillir ces géants de la musique improvisée. Avant le démarrage du concert, une batterie vintage Slingerland avec une énorme grosse caisse (24 pouces ?) trône sur scène comme un indice que le duo est en réalité un trio… Suspens !

A 21h tapantes, le guitariste-chanteur Stian Westerhus (vêtu d’un vaste chapeau de type camarguais-espagnol lui donnant l’air d’un cousin de Tom Waits) fait son entrée pour présenter les musiciens, Colin Stetson évidemment, mais également… Erland Dahlen que le public a découvert avec Nils Petter Molvaer (avec lequel il a enregistré deux albums). C’est un point commun qu’il a avec son compatriote Stian qui a également joué avec le trompettiste norvégien.

Disons-le tout net :  si ce groupe affiche une grande originalité, le batteur à lui seul est un véritable ovni ! D’ailleurs peut-on vraiment parler de « batteur » avec ce musicien (lui-même compositeur et auteur de plusieurs albums en solo) ? Comment le qualifier ? Batteur semble un brin restrictif tant son usage d’objets hétéroclites et d’électroniques divers étendent la batterie bien au-delà des simples percussions. Il diffuse également une telle profusion de sons qu’on imagine avoir à faire à plusieurs musiciens. Plusieurs cloches de bonnes tailles sont installées en surplomb de sa batterie et il s’en sert comme des cymbales. Le voir évoluer est un spectacle en soi, il renouvelle la percussion pour l’emmener si loin qu’on peine à la suivre sur l’ensemble du set…

Le leader de ce projet, Colin Stetson est également un saxophoniste et compositeur exceptionnel : le canadien a démarré l’instrument à seulement neuf ans et a une technique de jeu unique avec sa maîtrise de la respiration circulaire qui lui permet de souffler en continu dans son instrument durant plusieurs minutes. Cette façon intense de jouer combinée à un jeu de percussions sur les touches de son instrument et à une capacité à produire une ligne mélodique avec sa voix, lui permet de produire une palette de sons nouveaux et originaux. De plus, il est totalement investi et inspiré sur scène. Il joue d’un énorme baryton avec autant de talent qu’il joue de l’alto. On sent une approche tout terrain, son style se prête à merveille aux images (il n’est pas étonnant qu’il ait composé de nombreuses B.O. de films et de séries), c’est une musique très visuelle, large, qui nous envahit complètement et ne nous lâche plus.

Stian Westerhus est connu pour son style expérimental à la guitare, un jeu expressif, qui va étirer les paysages sonores à l’infini. Son chant est également original et onirique. Sa personnalité a été révélée au large public grâce au groupe de jazz expérimental Puma avec lequel il a enregistré quatre disques. Il a aussi réalisé six albums en solo, c’est un talent unique. A la guitare, il expérimente les sons les plus divers et n’hésites pas à singer à l’occasion le grand Jimi, avec grand renfort de guitares saturées, allant même jusqu’à jouer avec ses dents sur l’instrument à plusieurs reprises… Mais c’est un gimmick dont il aurait pu se passer aisément.

Durant le set d’une heure vingt minutes, le trio propose un unique morceau en continuum, plein de rebondissements et de couleurs différentes, on passe du jazz expérimental au rock mutant, à une musique contemporaine à la John Cage…Il y a même parfois des ressemblances avec le travail de Giorgio Moroder notamment dans sa relecture du Metropolis de Fritz Lang. Parfois, on a l’impression de nager en plein dans un vieux film d’horreur… Un étrange univers donc mais totalement impressionnant et enthousiasmant. Et si le futur du jazz ressemblait à ça ? Dommage que ces trois lascars n’aient pas consenti à un rappel que le public appelait fortement de ses vœux, car ce concert frôlait la perfection !

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