Le festival Jazz en Avril continue et l’association Canal Jazz invite ce soir le trio féminin Line & Borders dans un projet de la contrebassiste Leila Soldevilla. Le thème, inspiré par la physique quantique qu’elle a étudiée, traite de la transformation, du passage d’un état à un autre, de la musique et de la vie. Pour exemple : la période troublée du Covid a généré, entre l’avant et l’après, différents états comme décès, dépressions, burn out, mais aussi parfois des changements de vie radicaux et bénéfiques.
Nous débutons avec World’s Flavors, sous les doigts de Félicité de Lalande sur sa harpe électrique à leviers ; elle nous cueille à froid en utilisant un archet sur les cordes graves sonnant comme une basse continue, imitant parfois l’orgue voire la vielle. Beaucoup de concentration chez cette harpiste, elle jongle sur les cordes tout en activant les très nombreux leviers qui permettent d’altérer les notes au gré des changements de tonalité. La contrebasse rejoint la harpe dans une ambiance tendue.
Puis Balançoire nous amène dans une atmosphère printanière, la voix de Célia Forestier, tantôt puissante tantôt chuchotée, se pose sur des arpèges à la harpe et une ligne de basse de Leila. Sur Pigment vert, la harpe et le chant se superposent en deux voix complémentaires rythmées par la contrebasse. Improvisation de Félicité puis de Célia dans des tonalités légèrement orientales nous prouvant une fois de plus l’étendue de son registre, aussi juste et à l’aise dans les aiguës que dans les graves.
Dans A tout vent, le looper est à l’honneur, chaque instrumentiste y empile sons et bruitages ; souffle et sifflements imitent le vent, …. La voix puissante de Célia vient se poser sur tous ces sons mélangés, Leila et Félicité arrêtent chacune de jouer laissant leur looper s’éteindre petit à petit.
Au cœur de cette transformation en devenir, Leila, très présente et faisant corps avec son instrument entame Kaléidoscope. Célia déclament des mots que l’on saisit au vol (déclin, mélancolie, plume rapide, tempête de plomb) avant le chant en duo avec la contrebasse. L’orage gronde, ambiance de science-fiction, avant le retour de la voix parlée fort finissant par ces mots : « pour ne jamais revenir ».
Ballade Bleu Ciel s’inscrit dans la légèreté, beaucoup d’harmonie et de douceur de la part de nos trois musiciennes, avec une belle place à l’improvisation pour Leila soutenus tout le long du morceau par de magnifiques arpèges à la harpe.
Au royaume de Syagrius nous rappelle que les frontières ont toujours bougé au gré des guerres et des batailles, vite tombées dans l’oubli. La harpe entame de belles envolées, rejointe par le chant de Célia en anglais cette fois, avant de nous amener au cœur de la bataille au milieu de distorsion des sons des trois musiciennes. Le silence de la mort nous cueille pour mieux nous ramener à la vie qui reprend son cours malgré des cris de souffrance, Célia finit seule en tant que maman qui sort des décombres tout en chantant une berceuse à son enfant.
Nous finirons avec Madame la sixte et Chrysalide, à nouveau à fond dans la transformation. Célia utilise son torse en percussion accompagnée par des rythmes sur la harpe avec un crayon et une mailloche avant que le chant ne se fonde avec la contrebasse, suivi de jeux de loopers. La puissance de la vie et la joie sont palpables sur un rythme africain de tambour à la harpe et ritournelle à la contrebasse. Le papillon est né, son cœur bat et la douceur nous effleure.
Merci à ces trois musiciennes de haut niveau pour nous avoir fait vibrer tout au long de ces bouleversements somme toute inhérents à la vie.