Ce soir nous embarquons dans un voyage entre Tigre, Jourdain, Danube et Méditerranée dans la salle de Cressanges grâce au partenariat des associations de la région au sein du festival. Quatre musiciens de diverses nationalités rassemblant Syrie, Norvège et France insufflent des atmosphères multiples et variées tout en laissant la place de s’exprimer à chacun.
Sur la route installe tout de suite dans une ambiance très orientale et intime entre oud et clarinette basse bientôt rejoints par les percussions et le tarhu, instrument contemporain entre vièle orientale et violoncelle inventé par un luthier australien. Nicolas Beck, contrebassiste, se régale avec cet instrument qui lui permet une grande liberté d’expression. Abou Furate sur un rythme plus enlevé et syncopé nous démontre les possibilités du tarhu avec une improvisation de Nicolas à l’archet. Le son grave et velouté de Jean Louis Marchand à la clarinette basse nous happe sur un chorus, il sait faire monter la sauce, entraînant tous les musiciens avec lui, avant un retour au calme pour s’éteindre dans très belle fin.
Le morceau suivant Ya Tel inspiré des chansons bédouines lorsqu’ils ont vu apparaître les lignes téléphoniques au début du vingtième siècle traversant le désert entre l’Irak et la Syrie. Les mains et les doigts de Fabien Guiyot se superposent, effleurent, dansent sur les peaux de ses deux bendirs (un grave et un aigu à la place des toms) dans une improvisation applaudie par le public avant d’être rejoint par Nicolas puis Hassan Abdalrahman au oud et au chant. La sensibilité est au rendez vous, chacun s’exprime librement et le dialogue toujours harmonieux, ce qu’ils prouvent dans le morceau suivant Samaï (style traditionnel en Syrie, Egypte et Palestine) Al qamar (La lune).
Hassan dédie Sabrine (prénom et aussi patience) à Kjetil Selvik, gravement malade, remplacé au pied levé par Jean Louis aux clarinettes qui a su s’intégrer parfaitement à Shezar. Fabien, toujours à la recherche de sons fabuleux, frappe avec une mailloche une bouilloire en cuivre à moitié pleine d’eau tout en actionnant son ersatz de charley, un grigri dit-il, composé d’une vieille boîte à biscuit remplie de multiples choses. Un hymne à la liberté Hourrya, basée sur une poésie, nous entraîne dans une interprétation très joyeuse ponctuée par des « al hourrya » d’Hassan, Nicolas et Fabien avec un très beau chorus de clarinette dans l’euphorie de cette liberté.
Albidaya (commencement de quelque chose) nous permet d’apprécier une magnifique improvisation au oud d’Hassan ainsi qu’une cavalcade des doigts de Nicolas sur son daf avant de prendre la mer sur Ibhar dans un rythme chaloupé. Suit Ayoub qui veut dire Job (prophète de la patience) avec un rythme particulier qui tourne pour les fêtes ; très dansant.
Encore une composition de Kjetil avec Tamahi avant un rappel sans appel du public nous entraînant dans Zaffe, titre du dernier album de Shezar, signifiant applaudissement et qui correspond au rite d’accompagnement des jeunes mariés au moyen orient.
Le deuxième rappel, Hourrya bis, est rempli d’une très grande émotion car en effet Jean-Louis, qui n’a le répertoire que depuis une semaine, n’a pas travaillé d’autres morceaux, rappelant à tous l’absence de leur ami clarinettiste malade. En effet le groupe existe depuis vingt deux ans après un début à Strasbourg et nous ressentons cette grande amitié qui lie les musiciens.
Shezar nous a séduit par la richesse de l’expérience de chacun, une grande écoute générale, des espaces de liberté pour tous et de belles improvisations juste ce qu’il faut pour apprécier sans s’alourdir sur des rythmes bien orientaux.