Le théâtre des Pénitents en travaux nous permet de découvrir l’église Saint Pierre de la jolie ville de Montbrison. Le nouveau directeur du Théâtre des Pénitents, Mohamed Naitl’Khadir, présente cette première soirée du festival voué aux femmes du jazz et nous propose un voyage autour de la Méditerranée.
Deux belles brunes toutes d’écru vêtues s’installent sous les applaudissements du public bien présent malgré la pluie et la fraîcheur qui va être vite oubliée, réchauffée par ces deux artistes. Après un court instant de stress, Nesrine ayant égaré son plectre au milieu de ses pédales d’effets, nous voilà partis pour une très belle soirée musicale.
Nesrine au violoncelle électrique installe une rythmique sur son looper avant d’y poser sa voix claire et pour l’instant discrète, accompagnée sur des refrains « j’avoue j’en pleure, j’avoue j’en ris » par la voix légère d’Anissa Nehari ainsi qu’au daf et à la calebasse pour de belles basses bien placées. Puis après un « non ! » revendicatif, Nesrine clame en français avec une présence intense puis prend son archet pour une belle improvisation. Après Elle, Mumkin où nous partons pour une ville très très au sud de Montbrison, riche en couleurs, sonorités, saveurs culinaires et au soleil radieux du Nord de l’Afrique. Nesrine commence seule en arabe cette fois, une phrase reprise à deux voix par Anissa, et soutenue par un troisième chant du violoncelle sous l’archet.
Dans Ahlam, une note grave continue au violoncelle rentrée dans le looper nous accompagne tout au long du morceau, socle sobre pour une magnifique mélodie très orientale sonnant comme une longue plainte. Quelle musicalité et quelle présence de Nesrine dans le chœur de cette belle église. La rythmique s’installe plus gaie, Anissa au cajun cette fois et, à la place du hi-hat, trois cymbales avec des petits anneaux rassemblées par un côté, posées au sol, qu’elle actionne au pied. Le chant tout d’abord en français continue en arabe, entrecoupé par des envolées franches et généreuses sous l’archet de Nesrine.
Tous les morceaux sont des compositions de Nesrine qui présente son violoncelle électrique comme son amant, plus flexible que son mari de 1910 resté à la maison !!! Ce nouveau titre Bonnie et Clyde, qui sera sur son prochain album en duo (Clyde, violoncelliste également n’est pas présente ce soir) est chanté en français accompagné sur les cordes de son violoncelle avec toujours le soutien des percussions et de la voix d’Anissa et une très belle improvisation au chant de Nesrine.
Nous continuons avec Flou, également sur son prochain album, qu’elle chante pour la deuxième fois en public, écrit en septembre 2021 à la sortie du covid qui a failli lui être fatal. Elle a ressenti la frontière entre l’abîme de la dépression et état normal ; l’écriture de cette chanson, très belle et pleine d’émotion sur une ritournelle au violoncelle, lui a permis de s’en sortir.
Sur Allouane, chanté en arabe, Nesrine nous explique que la langue n’est pas du tout une barrière mais un son suffisant pour ressentir une émotion et je confirme ça marche. Le chant se superpose aux arpèges sur les cordes, dans le calme et la tristesse avant un crescendo d’une puissance incroyable soutenu par le daf d’Anissa, un chorus du violoncelle et les deux voix qui se rejoignent avec en prime de très beaux sourires partagés.
Participation du public qui ne se fait pas prier, avec Dounia (vie en arabe) où Nesrine divise l’église en deux. Nous chantons le refrain (dounia) à deux voix donc et l’émotion et la joie des deux chanteuses est palpable de voir que tout le monde est bien présent et suit leur belle énergie communicative.
Fear, chant en anglais cette fois sur un poème de Khalil Gibran (poète libanais qui a passé la majorité de sa vie aux Etats Unis), raconte l’histoire d’une rivière qui a peur de disparaître en se jetant dans la mer. Aucun retour en arrière possible pour elle mais elle s’apaise quand elle comprend qu’en y entrant, elle va devenir elle même océan.
Ovation du public qui se lève et en redemande, vœu exaucé et en nous avons le plaisir de profiter de l’acoustique du lieu avec les chanteuses sans micro pour My perfect man. La mère de Nesrine lui racontait des contes pour enfant mais en grandissant elle s’est bien aperçu qu’elle n’était pas une princesse et que les princes charmants n’existaient pas. Elle a donc crée l’homme parfait (ses deux violoncelles et quelques femmes). Les voix s’envolent dans l’église d’une acoustique parfaite.
C’est déjà fini, nous avons été comblés par la beauté de cette musique, la puissance et la générosité de la voix de Nesrine et de son instrument, ainsi que la complicité avec la voix et les percussions d’Anissa. Un seul regret ce soir, Nesrine a oublié d’amener des cd, nous ne repartirons qu’avec les souvenirs du concert dans notre tête.