16/07/2024 – Léon Phal puis Vulfpeck à Jazz à Vienne

16/07/2024 – Léon Phal puis Vulfpeck à Jazz à Vienne

Du «lourd»…

Une extra-night supplémentaire placée sous le signe du groove et de la jubilation pour le Festival qui jouait les prolongations avec ce co-plateau qui a affiché complet avec quelque sept mille cinq cents spectateurs. Après le jazz hybride et electro-house de Léon Phal et son brillant quintet, valeur montante de la scène actuelle qui a trouvé sa maturité avec son dernier opus Stress Killer, la grande scène viennoise s’est vite enflammée et le public aussi pour la première apparition du collectif américain Vulfpeck. Un band de pointures qui ressuscite notamment les grandes heures du funk, du R&B, de la soul et du rock dans un esprit potache et pastiche dont on se demande cependant souvent à quel degré il est décalé…

Enfin l’été ! Il faisait bien beau et surtout très chaud mardi soir à Vienne où après avoir clôturé une édition visiblement réussie – (la première pour le nouveau directeur artistique Guillaume Anger)- le festival jouait les prolongations avec cette «extra-night» placée sous le signe du groove et qui ne pouvait qu’enthousiasmer les quelque sept mille cinq cents spectateurs venus blinder les gradins. Pour entendre d’abord Léon Phal et son quintet, et surtout la tête d’affiche Vulfpeck,ce collectif américain indépendant très attendu en France, d’autant que seules deux dates étaient inscrites sur leur tournée, ici puis à Marciac.

Si l’on a régulièrement évoqué dans ces colonnes le parcours ascensionnel du saxophoniste champenois Léon Phal, auteur de trois albums en seulement quelques années, il faut rappeler que Vienne aura contribué à leur exposition puisque le quintet aura été lauréat du tremplin Rezzo en 2019 après la parution de leur premier opus «Canto Bello», avant d’y revenir – tradition oblige- pour la All Night Jazz, non pas en 2020 pour cause de Covid, mais en 2021. Depuis cette belle découverte, l’excellent groupe a développé son potentiel en matière de jazz hybride et électro groove avec «Dust to Stars», assise confirmée encore l’an dernier avec «Stress Killer» (voir ici) album de pleine maturité pour la formation qui continue à élargir son audience. Déjà, un prochain album intitulé «No Pain, No Champagne» est en préparation, et nous avons pu en entendre le premier single Life in the Wind joué en exclusivité en préambule du set sur le plateau réalisé en direct par Radio Nova.

A 20 h 30 tapante, les cinq musiciens franco-suisses, tous en short (on les comprend !) prenaient pleinement possession de la grande scène par une intro assez free, les cuivres de Leon (sax ténor) et de Zacharie Ksyk (trompette) étant très en avant. Avec un tempo bien marqué à la fois par le Fender Rhodes syncopé de Guillaume Toux et le drumming vivace d’Arthur Alard, le groove prend forme et impose son chaloupé, particulièrement appuyé par le gros son de la contrebasse tenue par un Rémi Bouyssière vrombissant. Une ampleur ronde et percutante affirmée sur Stress Killer où le claviériste se lâche en un long développement sur les notes les plus aigues du piano électrique. Totalement dans l’esprit du jazz electro actuel et parmi les meilleures pépites de leur dernier album, Vibing in Aÿ suit avec sa mélodie très accrocheuse. Une musique de plus en plus destinée au dance-floor, comme cette version de Still Waiting qui ouvrait leur tout premier opus, livrée ici d’abord avec un superbe duo des cuivres au son aérien, sur une rythmique désarticulée par les baguettes d’Arthur façon broken beat, avant une dérive très space sous les nappes et autres boucles du synthé Prophet, puis un final  ascensionnel au gros son clairement tech-house. Un titre enchaîné directement et soutenu par les applaudissements du public très réceptif à Idylla, résolument funk sous les assauts toujours percutants de la contrebasse. À l’instar de l’entame, Dust to Star sera offert de façon très free, avec un sax copieux auquel répond la trompette, sur un gros travail de batterie comme sait le faire Arthur sans ostentation, ramenant peu à peu le groove en évidence, entre électro et tech-house sous la férule du claviériste qui mène la danse. Une heure intense conclue par un Fuck Yeah libératoire, installant solidement Léon Phal et son quintet parmi les formations les plus appréciées du moment en matière de renouveau du jazz groove.

 

Show devant

Mais on se doute bien que ce soir, c’est assurément Vulfpeck qui a déplacé les foules, sans doute venues de loin puisque le collectif américain, bien rare en France (ils ont fait l’Olympia en 2018), n’y fait que deux festivals cet été, ce soir ici, avant celui de Marciac. Pourtant, peu médiatisé (oui, mais y a les réseaux…), encore peu connu du grand public au sens populaire du mot, il faut croire que le groupe détient cependant une très solide base de fans non seulement aux Etats-Unis, mais par chez nous aussi, preuve en est. D’autant que le band à géométrie variable formé par des étudiants du Michigan -et qui a signé sept albums depuis treize ans- est totalement hors système, indépendant tant côté label pour la production de ses disques que de ses concerts. Connus via Youtube, ayant fait montre d’un sens du marketing piquant en ayant osé sortir pour la plate-forme Spotify «Sleepify», un album de « silence » et « à écouter durant son sommeil » (!..), les trublions avides de liberté totale et d’amusement potache qui ont enregistré leur précédent «Schwitz» dans un sauna (!..) sont pourtant par leur maestria incontestable devenus un phénomène en pratiquant un funk rétro-ironique, reprenant le flambeau des grands groupes de soul, funk, rock ou pop des années 60-70, où la virtuosité est souvent au service du pastiche. Encore faut-il le savoir et, justement, sans doute n’ai-je pas personnellement toujours su à quel degré il fallait prendre les choses tant ils en font souvent des caisses…

Déboulant à six sur scène, la mise au parfum se fait sur Conscious Club, gros jazz-funk instrumental typiquement US où rayonne d’emblée le sax de Joey Dosik (aussi chanteur et pianiste…). Théo Katznian à la batterie (mais encore à la guitare et au chant..) assure le chant d’Animal Spirits qui suit, bien daté 80-90, et qui déjà réjouit l’auditoire. Le gros funk d’outre-Atlantique apparu au mitan des seventies est à l’honneur sur Cory Wong, titre qui prend le nom du fameux guitariste de Vulfpeck (par ailleurs leader de son propre projet) qui croise ici le fer avec Jack Shatton (également batteur et claviériste…) et le slap monumental du pilier bassiste Joe Dart.

1612 est résolument nimbé de R&B, avec un chant bien sixties ourlé d’orgue Hammond, entonné en voix de tête, comme ce sera essentiellement le cas de tous les vocalistes qui prendront le micro, à faire passer Earth, Wind & Fire pour des rogommes… Du R&B à la soul, il n’y a qu’un zeste de nuance que vient souligner Antwun Stanley avec Lonely Town.

Multi-instrumentistes interchangeables

On l’a compris, tous ces brillants musicos sont de surcroît multi-instrumentistes, perpétuellement interchangeables d’un titre à un autre, sur une scène sur laquelle ça brasse sans arrêt en tous sens jusqu’à donner le tournis. Mais c’est aussi sans doute ce qui participe au show à l’américaine, très apprécié du public en général. C’est notamment le cas pour le funk-rock du bien nommé Funky Duck avant que le huitième homme du band, vocaliste dont j’ai zappé le nom, pose sa voix bizarrement indéfinissable sur How much do you love me. Les voilà en octet avec deux voix lead sur New Guru, R&B bien funky où Dart signe une vertigineuse descente de manche. On parlait d’EW&F, c’est à eux qu’on pense en entendant les chanteurs sur Sauna, funk au groove martelé. Plus léger, avec un son digne de Chic, l’ironique Daddy, he got a Tesla fait chanter les guitares en chœurs, soutenues par la basse et les claviers vintage.

Un flash-back nourri de références qui nous sont chères, comme encore ce Disco Ulysses visiblement bien connu des fans, ballade slowly époque Commodores où Joey Dosik au chant fluet se dédouble entre sax et Fender Rhodes. Plus crédible que pour Running away frôlant les Village People… Rien à voir avec LAX qui suit après moult interférences d’instruments entre ces  facétieux garnements, et son intro bien rock’n’roll, guitare à la Clapton et voix sous vocoder typique fin des 70’s. Cette amorce des années 80 dont on retrouve la couleur désormais un brin soupeuse, surtout quand l’aspect lourdingue est appuyé (délibérément ou pas et à quel degré, that is the question…) comme sur ce Test Drive. Je citais les Commodores, le slow R&B Wait for the Moment peut encore rappeler un Lionel Richie, le groupe semblant surjouer le trip en en faisant des tonnes.

Ne sachant toujours pas vraiment sur quel pied danser -contrairement à plus de sept mille personnes visiblement en pleine jubilation- avec ces drôles de loustics certes « épatants » au sens démonstratif du terme, j’ai curieusement préféré en rester là sur l’excellent solo de Joe Dart et sa belle basse jazz-funk, joliment tricotée et claquée façon Jaco Pastorius et Stanley Clarke sur Back Pocket où, rejoint par la guitare et la batterie, le titre va s’envoler dans une frénésie très speed. La frénésie d’un show qui, à ce que j’en sais depuis par les collègues restés sur place, n’a fait que s’accentuer encore au fil des trois derniers titres puis deux rappels de folie.

Pas grave, mais si je suis bien tout aussi adepte de cette période musicale qui m’a bercé et a nourri mes veines de groove essentiellement black, je n’ai curieusement pas retrouvé chez Vulfpeck la touche intemporelle qui fait (cf Nile Rodgers & Chic dernièrement) que tout soit aussi délectable aujourd’hui qu’à la grande époque. Toujours est-il que ce soir, j’aurai ressenti plus de good vibrations dans la modernité très actuelle du groove de Léon Phal et ses compères qu’avec ces pourtant remarquables Vulfpeck.

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