30/07/2024 – Momi Maiga au Crest Jazz

30/07/2024 – Momi Maiga au Crest Jazz

Que se passe-t-il ? La kora semble être un instrument à la mode actuellement ! Nous voyons souvent en concert Ballaké Sissoko un maître de cet instrument, en duo avec Vincent Segal ou en quartet avec Les Egarés. Nous venons d’apprendre ce mois-ci la disparition de Toumani Diabaté, un autre grand maître de la kora. Ballaké Sissoko le considère comme son frère, car ils ont appris la maîtrise de l’instrument ensemble au Mali. Nous avons vu un musicien d’Oumou Sangaré cette année à Jazz à Vienne jouer de cet instrument. Ainsi que Siân Pottok jouer dans ce même festival du Kamele Ngoni, une harpe africaine traditionnelle d’Afrique de l’Ouest qui ressemble à la kora.

Ce soir Crest Jazz nous propose une soirée « Kora & Flamenco ». Cette définition paraît originale et plutôt improbable. Comment mêler les sonorités douces et chantantes de la kora avec l’exubérance et la passion brûlante et flamboyante du flamenco ? On imagine tout de suite une association contre-nature et un patchwork ou une mosaïque de styles et de sons accolés, mais mal mariés.

C’est la kora de Momi Maiga, au chant également, qui ouvre ce concert avec une mélodie douce qui nous plonge en Afrique de l’Ouest. Il est accompagné sur le devant de la scène à ses côtés de Carlos Montfort au violon et chant pour les chœurs et de Marçal Ayats au violoncelle et également au chant pour les chœurs. Avec leurs trois instruments à cordes, les musiciens vont tisser une dentelle musicale tout au long du concert. Le musicien africain chante sur plusieurs morceaux en s’accompagnant de son instrument. Sa voix qui nous fait voyager en Afrique est souvent soutenue par ses partenaires qui reprennent en chœur ses refrains. Aleix Tobias à la batterie et aux percussions assure un accompagnement très délicat. Il utilise beaucoup ses cymbales et ses percussions, ce qui donne une rythmique légère et aérienne. Lorsqu’il frappe sur ses tambours, c’est pour ponctuer sa rythmique, ce qui ne vient pas couvrir les cordes de ses partenaires.

L’association des trois instruments à cordes permet des dialogues qui sont propices aux échanges. Le violoncelliste joue à de nombreux moments en pizzicato. Ceci crée de véritables dialogues avec la kora. Les deux instruments suivent la même mélodie. Parfois, c’est le violon plus le violoncelle qui accompagnent la mélodie de la kora. Le son léger, cristallin et presque fragile de la kora est soutenu par les cordes pincées des deux instruments plus graves. Le jeu à l’archet du violon et du violoncelle fait varier les sonorités de cordes et accentue la rencontre de l’instrument africain et des deux instruments européens. C’est la rencontre des continents. Sur des mélodies jouées à l’archet, la kora s’efface pour devenir une rythmique douce et délicate. Sur le morceau Ocean (prononcé en anglais) qui est dédié aux personnes qui perdent leur vie lorsqu’elles fuient leur pays, la solennité de l’archet apporte de la tristesse, exprime la gravité de ces situations comme des lamentations qui nous touchent directement. Sur ce titre, les tambours se font graves pour insister sur ces tragédies.

Les différents styles de jeux sur les cordes font varier les émotions. Le style flamenco est finalement léger et délicat, il est juste évoqué. Lorsque la kora improvise parfois comme une guitare flamenca, ce qui est très subtil et étonnant, ou lorsque le violoniste fait les palmas traditionnelles. Le jeu du violon à l’archet rappelle aussi à certains moments les lamentations du violon tsigane. Les musiques improvisées des peuples nomades se rencontrent ce soir avec beaucoup d’émotion. On ressent également une sensation d’apesanteur et de lévitation avec ces jeux de cordes mêlées. La joie qu’ils ont de jouer ensemble donne l’impression tantôt d’une jam, tantôt d’une joute avec les cordes.

Lors d’un intermède pour s’accorder, Momi Maiga nous présente son instrument qui vient de l’Afrique de l’Ouest. Il est composé de vingt-deux cordes, sur une calebasse et se joue avec quatre doigts. Le musicien est originaire d’une famille de griots de Casamance, une région du Sénégal, où ces familles sont musiciennes depuis soixante-douze ou soixante-treize générations, nous précise-t-il ! Il vit aujourd’hui en Espagne. Avec beaucoup d’humour, le violoncelliste catalan présente aussi son instrument en parodiant son partenaire pour lui permettre d’avoir le temps d’accorder ses nombreuses cordes. Aux Jeux Olympiques des cordes, le violoncelliste avoue avec complicité qu’il ne peut pas lutter avec ses quatre cordes !

Cette formation peu habituelle, avec une variété originale de sonorités, a ravi nos oreilles. Un final plus un rappel joyeux durant lesquels le public est invité à participer soit en reprenant les rythmes en frappant dans les mains soit en chantant clôt le concert en apothéose. En public averti, les auditeurs du festival de Crest offrent une standing ovation aux musiciens heureux de partager leur émotion musicale.

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