17/08/2024 – Les Frères Smith pour A la folie… à Brou

17/08/2024 – Les Frères Smith pour A la folie… à Brou

L’esprit fraternel et festif de l’afrikanbeat

Le bouillonnant onztet parisien réunissant des frères de cœur (et une frangine) de toutes origines, ayant pour certains collaboré avec des pointures comme Tony Allen, Seun Kuti ou le Soul Jazz Orchestra, s’inscrit pleinement dans l’héritage de Fela mais transposé dans un contexte bien actuel en pleine «Mutation» comme se nomme leur troisième album en vingt ans de carrière. Une alchimie collective, artistique et humaine pour porter des messages engagés sur des sons que ces contrebandiers du groove empruntent à diverses cultures, principalement africaines. Un détonant mix chaleureusement festif sous la bannière de l’afrikanbeat, et qui a conquis spontanément le public bressan.

 

Précisons d’abord que contrairement à ce qui a pu être dit ou écrit çà et là, Les Frères Smith ne sont pas Belges (hormis Manu aux claviers) mais une grande famille qui s’est constituée il y a déjà vingt ans en banlieue parisienne dans le 77. Un collectif « familial » où en réalité aucun ne s’appelle Smith (un nom générique « parce qu’il y en a partout »…),et surtout sans frontières puisque les origines de ces dix frenchies et un belge sont bigarrées, à la fois africaines, malgaches, guadeloupéennes et martiniquaises. Un mix artistique pluri-ethnique et multiculturel (à l’image de nombreux groupes londoniens du jazz hybride) qui se veut libre de pratiquer une musique de contrebande qu’ils nomment l’afrikanbeat, certes puissamment héritée de l’afrobeat du père spirituel Fela Kuti, mais qui combine tout à la fois funk, juju et high-life ghanéen, soul et jazz occidental, musique tropicale et créole. Un groove jusqu’à la transe, cheminant de Conakry au Ghana, du Cameroun au Nigéria, en croisant l’éthiojazz hypnotique aux vibrations de l’Afrique de l’Ouest, mandingues ou gnawas, jusqu’à insuffler aussi parfois des vapeurs d’Orient.

 

Musiques du Monde par excellence

C’est dire combien on peut qualifier le répertoire des Frères Smith de « musiques du monde » par excellence, mais où à la forme, qui privilégie le sens de la fête et de l’ambiance effrénée, s’ajoute dans le fond le sens de la réflexion et du combat, avec des textes — principalement en français —, évoquant des sujets panafricains ou plus universels (du capitalisme corrupteur aux problèmes environnementaux), collant à l’actualité et constatant les mutations de la société. « Mutation », qui est d’ailleurs le titre de leur troisième et dernier album après l’explicite « Contreband Mentality » qui les avait révélés, puis « Free to Go » qui a vu l’arrivée parmi ces dix mecs de la chanteuse d’origine congolaise Swala Emati, influencée par des icônes comme Nina Simone, Lauryn Hill ou encore James Peterson, et première voix féminine pour le groupe au côté du chanteur lead Prosper, charismatique conteur d’origine camerounaise et fervent militant d’un monde meilleur.

Cette alchimie collective et fraternelle de cœur, réunissant des citoyens engagés pour que, sur tous les sujets abordés, on replace enfin l’humain au centre des débats, fonctionne tout naturellement avec le public nombreux et tout aussi disparate venu garnir le cloître du Monastère royal de Brou, deux semaines après les Cinelli Brothers (voir ici )… mais avec le beau temps en moins. Qu’à cela ne tienne, si les averses à l’entame du concert ont contraint la grande majorité des spectateurs à se réfugier sous les arcades de côté, laissant les musiciens démarrer le show devant un parterre de chaises vides, le lieu a dû être béni des Dieux, ou alors la force spirituelle de l’afrikanbeat aura conjuré le sort puisque par chance la pluie s’est assez vite arrêtée, permettant à tous de reprendre place et de participer à ce grand moment de partage et de transmission.

Est-ce justement parce que l’espace était encore vide que le son du début de concert était épars et un rien brouillon ? Toujours est-il qu’on plonge d’emblée dans l’afro sur No Talk Talk, titre hommage à l’icône anticolonialiste Thomas Sankara, qui déjà fait rayonner la section des cinq cuivres ramassés en grappe côté cour, avant un long chorus du guitariste gaucher Mahop, alias Olivier Marchand, grande pointure spécialiste de la musique africaine dont il a étudié les langages dans un livre de référence, et qui a joué — entre tant d’autres — avec le Soul Makossa Gang de Manu Dibango, Touré Kunda ou Tony Allen.

De quoi entrer dans la danse

 Sans temps mort par la frappe soutenue du batteur Mario s’enchaîne Une Histoire de Dingue, pur afrobeat qui met en avant le sax baryton de Saké. Irrésistible lui aussi,suit Empty Bely où l’effet wah-wah de Mahop et les attaques de clavinet nous projettent dans les seventies de Fela, tout en ancrant le groove dans les nineties de Manu Dibango avec une infernale ligne de basse tenue par l’Israëlien Tahiry. Seule avec le pianiste plus electro, Swala entame en talk-over la longue intro de Mutation, avant que tous les cuivres viennent envoyer du bois. La rythmique oscille entre afro-jazz et funky, la voix et notamment le léger vibrato de la chanteuse rappelant un peu une Liane La Havas sur ce titre étiré aux multiples variations, développant un beat haché qui conduira le public à se ramasser face scène et à chanter. On rentre alors pleinement dans le moove avec le festif et puissant Free to Go que la guitare fait chalouper avant un beau chorus du trompettiste Roulio.

On l’a dit, le laboratoire des Frères Smith concocte des mix sans frontières, c’est encore le cas pour Arquahhh qui marie les esthétiques sonores de l’afro avec d’autres nettement plus orientales, surtout via la flûte soufflée par Reno, le saxophoniste alto. Un solo de batterie va servir de break pour déboucher sur Sittin’in the Dark où l’on retrouve la complicité de la guitare et du clavinet avant cette fois un long solo de basse, ronde et claquante pour imposer le tempo.

Et si Ekolo Assiko mélange l’assiko, rythme du Cameroun avec du seben, cette fameuse tournerie d’Afrique Centrale venue du Congo, sa nature spontanément très dansante s’inscrit totalement dans un registre créole antillais des plus joyeux. Idéal pour attiser le feu final, d’abord avec l’obsédant Gbà mi leti ki n’ dolowo où le sympathique ambianceur du band Fab (sax ténor) et son look rasta façon George Clinton va s’époumoner sur un dernier chorus, puis en rappel avec Mulatu Yegele Tezeta et son groove « éthiopique » porté par le piano électrique et une basse très prégnante qui clôture pile à 22h ces quatre-vingt dix minutes de show rondement mené. Respect les frangins !

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