27/10/2024 – Les 20 ans du label Nø Førmat! à l’Opéra Underground

27/10/2024 – Les 20 ans du label Nø Førmat! à l’Opéra Underground

Le beau label que voilà !…

Vingt-deux références de renom et près d’une soixantaine d’albums à son prestigieux catalogue en vingt ans d’existence: le pari un peu fou lancé en 2004 par Laurent Bizot, ex de la major Universal, de créer un label indépendant faisant fi des étiquettes pour mieux sortir du formatage et de la standardisation de la musique est aujourd’hui réussi, preuve en est. Une audace payante que cet anniversaire marquant honore avec une tournée réunissant quatre merveilleux poulains de cette écurie de talents aussi éclectique que séduisante.

 Au début des années 2000, alors qu’à l’instar de toutes autres industries celle du disque penchait vers la rationalisation et la concentration par fusion-acquisition, il fallait être assez gonflé pour à contrario lancer un label indépendant, plus artisanal, délibérément éclectique et hybride, dans l’exigence d’une qualité bien éloignée du mainstream ambiant. C’est pourtant ce pari très audacieux -pour ne pas dire fou- qu’a lancé Laurent Bizot après avoir fait ses classes au sein de la major Universal,en créant l’explicite Nø Førmat! qui, comme son nom l’indique, réfute le formatage artistique et la standardisation, les chapelles et les étiquettes qui enferment, pour à l’inverse jouer la carte de l’éclectisme sans frontières et de l’hybridation. Pour devenir selon la jolie formule cet «asile des inclassables» qui, après un premier succès aussi grand qu’inattendu avec l’album piano solo du foutraque Canadien Chilly Gonzalès, verra la famille s’enrichir de prestigieuses signatures toujours singulières et souvent métissées, avec notamment de nombreux artistes originaires d’Afrique de l’Ouest.

Ainsi parmi les quelque vingt-deux références qui au fil du temps ont garni le catalogue Nø Førmat!, on pourra citer Nicolas Repac, Koki Nakano, le rappeur Rocé, Ala.Ni, Julia Sarr, Mélissa Laveaux, Ballaké Sissoko, les Egarés (encore un très beau succès récent), mais encore le songwriter anglo-italien et chantre du néo-folk Piers Faccini, son homologue brésilien et chanteur-guitariste engagé Lucas Santtana qui renouvelle la bossa des tropicalistes, l’excellent quartet parisien Asynchrone et son «Plastic Bamboo» (voir ici et ici) génial hommage de circonstance à feu Ryuchi Sakamoto, ou enfin la charmeuse chanteuse-pianiste-percussionniste hollando-amérindienne Natasha Rogers (que l’on avait découverte avec son album autoproduit «Your Face»), dernière arrivée sur le label avec un nouvel opus «Oneida» paru en début d’année. Des disques toujours identifiables (comme pour ECM ou ACT) par le graphisme typique sur fond blanc des parutions du label, art-work conçu par Jérôme Witz. Ce sont ces quatre derniers artistes que l’on retrouve sur cette tournée anniversaire de sept dates (dont une à Berlin) et qui débutait dimanche par l’Opéra de Lyon dans la grande salle bondée s’il vous plaît, là où Richard Robert les avait déjà chacun accueillis dans sa soute underground.

Plateau au Format « A 4 »

D’abord, quel plateau ! Que des artistes que l’on aime, appréciés et souvent chroniqués dans ces colonnes pour leurs albums, et vus respectivement en concert ça et là. Avec un Piers Faccini ici chez lui, depuis qu’il y mène  les Chemins des Songwriters avec des invités réguliers, ce soir en compagnie du  joueur de luth et de guembri Malik Ziad, Lucas Santtana découvert en période masquée lors d’un solo au RhinoJazz(s) Festival de 2020, la brillante fée musicienne Natasha Rogers qui nous accompagna au fil de l’eau pour Batôjazz, et enfin le plaisir de revoir les quatre piliers d’Asynchrone qui m’avaient déjà scotché à l’Opéra Underground il y a presque un an déjà, avec leurs revisites géniales du répertoire de Sakamoto.

Frédéric Soulard aux synthés et violons, Clément Petit au violoncelle, Hughes Mayot aux sax et Vincent Taeger à la batterie ouvrent le bal ce soir par une intro comme on les aime, en l’occurrence de longues boucles sérielles dignes de Reich et de Glass. Lucas Santtana rejoint la scène pour quatre titres qui mettent d’emblée en valeur la richesse du travail chaque fois mené par le fin rythmicien Vincent Taeger (entre autres aussi sur le Slydee de Sylvain Daniel),comme la prégnance sonore de Hughes Mayot aux différents sax, et qui rejoindra le piano droit sur la seconde chanson du brésilien prenant le beat d’un reggae.

Toujours au micro après une belle ouverture au violoncelle puis un obsédant ostinato de synthé qui nous accroche, Lucas est rejoint à son tour par Natasha qui tient à la fois piano et percussions, pour une délicate ballade à deux voix au parfum de l’Amérique du Sud. Il laisse ensuite Asynchrone enrober d’une pop très aérienne -comme l’est le chorus de sax- la voix à la fois doucereuse et dynamique de la chanteuse dont la musique est toujours très rythmique, entraînant instinctivement les claps des spectateurs.

On entre alors plus en profondeur dans son univers, une musique du monde dansante voire tribale par l’aspect techno des claviers et la fougue conjointe des deux frappeurs, proche des chants trad’ d’Afrique du Sud. Mais quand elle reste seule devant son piano droit, la belle du label rappelle Obel (Agnès), croisant notes féeriques et chant cristallin qui emmènent loin.

A son tour elle invite «un chanteur qu’elle aime beaucoup», pour introduire Piers Faccini harmonica en main et escorté du oudiste Malik Ziad, parfait attelage pour prolonger la zénitude et l’ambiance vaporeuse de la planerie, d’autant que le trio se fait au final septet avec les quatre «asynchronistes» qui viennent y mêler leurs voix dans une totale plénitude chorale.

L’osmose parfaite

Si zénitude et douceur sont des caractéristiques partagées par les trois chanteurs qui pourtant ont des racines culturelles différentes, le répertoire continue d’élargir le spectre avec Asynchrone et Natasha aux percussions pour un morceau au son résolument plus jazz qui va groover sous les doigts du cello qui a tout d’une vrombissante contrebasse et les moulinets aussi échevelés que précis du batteur. Du gros son qui pousse avant que toute l’équipe soit réunie pour Once in a liftime, tiré de Plastic Bamboo, livré en octet où le sax est roi.

Sur le titre suivant, berceuse folk d’une grande pureté croisant le charme crooner de Piers aux réponses elfiques de Natasha, voix incantatoires et cordes arabisantes de Malik vont dériver vers des rivages plus orientaux, comme encore sur la ballade voyageuse qui suit, avec sa mélopée chaloupante et sa flûte chamanique. Aussi ensorceleur que le dernier titre, entre rock tribal et country-blues dont le final tient du rituel vaudou.

En rappel, le bien nommé All on board chanté à l’unisson avec le public confirme que nous étions bien tous là montés à bord du bateau Nø Førmat! pour un embarquement immédiat vers une dépaysante croisière. Mais ce qui nous aura le plus épaté et séduit dans cette aventure inattendue, c’est bien l’incroyable fusion naturelle qui s’est opérée entre tous ces artistes au gré du répertoire et des formules proposées. A fortiori quand tous étaient réunis pour ne former plus qu’un, comme si l’on assistait au concert d’un seul et même groupe. Nø Førmat! peut-être, mais visiblement tous soudés par un bel esprit de famille en tout cas …

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