Une fresque politique d’Haïti à La Nouvelle Orléans
C’est assez rare de venir écouter de la musique à Saint-Genis-Laval, car si la Mouche, salle de deux cent quatre vingt places est agréable et bien refaite, elle accueille habituellement plutôt du théâtre et du cirque et surtout des séances régulières de cinéma. La nouvelle et sympathique directrice Elise Ternat, qui nous accueille avant le concert, va sans doute faire un peu évoluer la programmation en insufflant un peu de jazz (d’après ce qu’elle nous a confié).
Mais ce soir, ce sera un focus sur un folk blues de La Nouvelle-Orléans matinée d’influences haïtiennes qui nous est proposé avec la chanteuse et compositrice Leyla McCalla, qui a déjà arpenté les scènes rhônalpines depuis plusieurs années notamment au Club de minuit de Jazz à Vienne et à A Vaulx Jazz. Elle démarrait alors et sortait de son aventure avec le groupe folk Carolina Chocolat Drops. En 2024, elle a déjà sept disques à son actif dont le dernier en date sorti au printemps dernier, Sun Without The Heat, enregistré en seulement neuf jours à la Louisiane, l’endroit qui l’inspire le plus. Ce sont en majorité les compositions de cet album qui seront interprétées par Leyla accompagné de trois musiciens, un trio que l’on retrouve plutôt dans les groupes de rock, guitare/ basse/batterie.
Mais, le public n’a d’yeux et d’oreilles que pour la native de New-York… Il faut dire que sa voix et son inspiration distillent de l’émotion à l’état brut. Elle s’accompagne principalement de la guitare, mais également du banjo et du violoncelle (ce sont d’ailleurs parmi les parties les plus touchantes du concert quand elle empoigne cet instrument, accompagnée par Pete Olynciw qui troque pour l’occasion sa basse électrique pour une contrebasse !). La songwriteuse s’est installée à lL Nouvelle-Orléans depuis 2010. Elle y a découvert la culture et le chant créole (dont elle chantera quelques morceaux, en plus des chants en anglais et en français) et revisitera sa propre culture haïtienne pour l’occasion. Il faut dire que ses parents, immigrés haïtiens (ceux-là mêmes qui, d’après le futur président des Etats-Unis mangent des chats et des chiens à Springfield…), sont plutôt militants. Elle baigne ainsi dans l’engagement, même si le sien est toujours nimbé de poésie louisianaise et caribéenne. Elle a étudié les discours des abolitionnistes du XIXᵉ siècle, mais ce n’est jamais pesant dans sa musique car elle manie la quête du bonheur et de la joie, c’est une artiste positive et pleine d’entrain et ce concert va le démontrer avec maestria.
Le set démarre avec un morceau blues qui se mue en calypso cajun issu du nouveau disque. La seconde chanson, accompagnée au chant par ses trois acolytes, est une mélodie « écrite il y a vingt ans après son premier cœur brisé », dixit Leyla qui ajoute « ce n’est pas le dernier », dans un français quasi impeccable qu’elle prendra soin d’utiliser durant tout le set.
Le morceau qui suit voit Leyla jouer sur un banjo endiablé, qui réalise même un époustouflant chorus sur cet instrument. Vient ensuite une des plus belles chansons du dernier opus : Scaled to survive, dédié à ses enfants, ou ses parents…ou à elle-même…La chanteuse hésite. Ce titre que l’on pourrait traduire par « à la hauteur pour survivre », évoque l’amour que les enfants portent à leurs parents. On en revient à sa quête fétiche de la joie et du bonheur pour vaincre les épreuves de la vie. Le morceau commence par le batteur qui manie des claves, et une guitare aux accents quasi hawaïens. Elle enchaîne ensuite au violoncelle accompagné par la contrebasse, avec le titre éponyme du disque (Soleil sans chaleur), sur une chanson inspirée de l’abolitionniste Frederik Douglas, un hymne d’une beauté inouïe qui touche le cœur battant du public Saint-Genois. Puis vient le titre The Tower, avec Leyla qui souligne que « nous avons besoin de laisser tomber des choses parfois »… Le morceau est dansant et joyeux et le public de taper dans ses mains.
La suite et la fin du concert font la part belle aux morceaux en créole qui permettent à Leyla de déclarer sa flamme à la Louisiane, seule avec son violoncelle chantant en créole, formidable évocation de cet état si différent du reste des Etats-Unis et si proche de la France. Le dernier morceau a été écrit durant la période dictatoriale de Duvalier à Haïti (ses parents ont émigré aux USA à ce moment-là).
En rappel Leyla évoque d’abord une des figures emblématiques de La Nouvelle-Orléans, à savoir Allen Toussaint, et pour le second morceau du rappel, elle interpelle le public sur l’appel récent entre les Présidents Macron et Trump suite à l’élection de ce dernier…et propose un morceau figurant sur son troisième disque, le titre « blues capitaliste » d’après ses dires, écrit durant la première présidence Trump. Une façon aussi de resituer les travers de l’Amérique d’aujourd’hui après ses dérives d’hier (l’histoire des heures sombres de l’esclavage) ; comme un éternel recommencement d’une lutte nécessaire à l’émancipation…
L’Amérique va avoir besoin dans les mois et les années à venir de ces messagers de l’espoir, et de toutes celles et tous ceux, artistes ou non, qui s’engagent face aux menaces qui pèsent sur les minorités comme un voile sur une démocratie malade. Leyla McCalla avec son folk louisianais et sa joie de vivre fait partie de ces êtres lumineux qui luttent contre la noirceur du monde…N’est-ce pas ce que l’on demande aussi à l’art et à la musique ?
Musiciens :
- Leyla McCalla : banjo, violoncelle, guitare, voix :
- Caito Sanchez : batterie, voix
- Pete Olynciw : basse, voix :
- Nahum Zdybel : guitare, voix :