C’est à l’unanimité que le comité de programmation de la neuvième édition du festival Cinezic de Vernoux-en-Vivarais a sélectionné le film « Blue Giant » cette année, pour la qualité de sa bande originale (BO). Nous ne démentirons pas le choix de l’association à Jazz-Rhone-Alpes.com ! En effet, ce film d’animation japonais relate l’histoire d’un jeune saxophoniste passionné de jazz qui souhaite vivre de sa passion. Une chronique du film a été réalisé à sa sortie par notre collègue Christian Ferreboeuf sans nos colonnes (voir ici).
Pour cette projection le festival Cinezic a proposé à votre serviteur de présenter le film. Cette sympathie et cette confiance vient des chroniques réalisées il y a trois ans à l’occasion de la venue de Franck Cassenti pour la projection de son film Changer le monde, consacré au festival Jazz à Porquerolles dont il était le fondateur et le Président, ainsi qu’une Master class. Les chroniques ne sont malheureusement plus disponibles en ligne sur notre site. Le festival m’avait déjà sollicité pour présenter l’an dernier la version restaurée du film de Bertrand Tavernier, Autour de minuit, pour laquelle je n’avais pas été disponible. Moins à l’aise avec les films d’animation japonais, j’ai préparé cette présentation avec Philippe Christin, un ami d’enfance avec qui je partage la passion du jazz et qui a était chef de produits pour HK vidéo et programmateur du festival nouvelles images Japon au forum des images de Paris. C’est avec Jean-Pierre Trescol, Président de Cinezic, que j’ai eu le plaisir de présenter Blue Giant.
Bleu Giant est un film d’animation japonais de Yuzuru Tachikawa d’une durée de 2h00, sorti en salle le 6 mars 2024. Il est basé et adapté sur des séries de Manga du même nom de Shinichi Ishizuka. Dai Miyamoto, saxophoniste passionné de jazz souhaite vivre de sa passion. Il rencontre un pianiste et avec un troisième ami fonde un trio. Ce film, sous la forme d’un drame, présente les espoirs et les déconvenues de l’ascension des jeunes jazzmen. Il peut être rattaché au genre des films dit de Coming-of-age story, qui définissent les récits initiatiques. Il offre donc une bande originale (BO) impressionnante pour les amateurs de jazz. La BO a été confiée à Hiromi Uehara, une pianiste et compositrice japonaise pour vingt-cinq thèmes et à Sawabe Yukinori pour quatre thèmes, pianiste japonais qui interprète la BO avec Tomoaki Baba au saxophone et Shun Ishiwaka à la batterie. La musique est très présente dans le film qui fait une place importante aux scènes de concert et de répétition. On peut noter que la pianiste et compositrice Hiromi Uehara, a une renommée internationale dans le monde du jazz, et la protégé du regretté Ahmad Jamal. Elle a été programmée cet été dans de nombreux grands festivals européens et notamment en France à Jazz à Vienne et Jazz In Marciac.
Le manga édité au Japon par Shogakukan et par Glénat en France, la version française est parue le 6 juin 2018. Les Mangas sont classés par typologie selon l’âge et le sexe des lecteurs, mais aussi selon le genre et selon le format. Dans le cas de Blue Giant, il s’agit d’un manga de type Seinen. Selon la classification japonaise, c’est donc un manga pour un public jeune et adulte. Seinen Manga signifie « manga pour jeune homme » par opposition au Josei Manga, « Manga pour jeune femme ». Le genre du manga est développé au Japon à la fin du XIXᵉ siècle. Le mot Manga composé des deux idéogrammes Ga, qui signifie « dessin », « image » ou toute image dessinée et de Man qui signifie « involontaire », « divertissant », « sans but », mais aussi « exagérer », « déborder » qui peut être interprété comme caricature. On peut donc définir le mot manga comme « dessin au trait libre », « esquisse au gré de la fantaisie », « image malhabile » ou tout simplement caricature ou grotesque. Le genre manga est un genre littéraire très important en France. Selon l’institut Nielsen en partenariat avec Le festival d’Angoulême, sur le marché de la bande dessinée et du manga, un titre sur deux acheté est un manga. Soit trente-neuf millions d’exemplaires de manga pour un total de soixante-quinze millions de bandes dessinées. Même si le marché est globalement en baisse depuis les volumes historiques de 2021.
L’adaptation d’un manga se prête particulièrement bien à l’animation. Le dessin, en général, est moins « statique » que dans les bandes dessinées occidentales. Le manga utilise un découpage temporel proche de celui du cinéma, adoptant souvent ses cadrages et utilisant une décomposition similaire du temps et de l’action. On retrouve souvent une mise en scène comme la plongée ou la contre-plongée. La perspective varie systématiquement d’une image à l’autre.
Avec les mélanges de style d’animation, le film de Yuzuru Tachikawa retranscrit bien à l’écran le manga de Shinichi Ishizuka. L’utilisation exclusive de la 2D était trop chronophage pour retranscrire le manga, le réalisateur a expliqué que l’équipe a finalement opté pour d’autres techniques en complément de la 2D. Par exemple, la séquence finale du solo de Tamada a nécessité environ trois à quatre mois de production. Le temps et les efforts requis ne justifiaient pas de réaliser tout le film en 2D. C’est pourquoi, ils ont intégré diverses technologies. Lorsqu’ils ont compris que l’animation permettait des transformations spécifiques de leurs arrière-plans et une manipulation de l’environnement, ils ont trouvé que cela correspondait parfaitement à leur vision des performances en solo. C’est pour cette raison qu’ils ont choisi ces techniques pour les aspects artistique et pratique. Voulant préserver l’essence du jazz à savoir l’improvisation, l’équipe de l’animation avait décidé d’enregistrer en live les scènes musicales, et ce, afin de ne rien perdre dans les improvisations. Ils ont utilisé plusieurs techniques comme la rotoscopie pour les plans d’ensemble et la « motion capture ». La rotoscopie est une vieille technique qui consiste à filmer avec des comédiens les scènes que l’on veut animer, et on redessine dessus. Cela rajoute à la fluidité dans les mouvements. L’autre technique, la motion capture, est plus récente. Elle permet la capture de mouvement, qui facilite l’enregistrement des positions et des mouvements des objets et des personnages pour en contrôler la restitution visuelle sur ordinateur.
Dans sa chronique pour Radio Campus Orléans, Jules Laurans-Moreau, nous explique que le jazz est introduit au Japon à partir des années 1920. Il est tout d’abord considéré comme trop américain et d’origine d’une culture étrangère. C’est après la Première Guerre mondiale qu’il commença à évoluer, et notamment à la fin des années 1950 où une scène free jazz locale émerge. La première école de jazz est ouverte en 1965. Un jazz véritablement japonais « made in Japan » est créé avec les influences Hip-Hop, R&B et Néo Soul, même si les styles bebop, le hard bop et le post-bop sont toujours joués. La scène jazz japonaise actuelle est composée de jeunes musiciens tels que : Hiromi Uehara, déjà mentionnée, Keiko Matsui, Ai Kuwabara et Takashi Matsunaga, qui sont reconnus internationalement et qui travaillent avec les musiciens de jazz américains et européens. La popularité de cette musique a explosé, donnant naissance aux cafés jazz (Jazz Kissa), où les aficionados pouvaient s’asseoir dans un bar ou un café faiblement éclairé et écouter les derniers disques. Dans le Japon d’aujourd’hui, la popularité du jazz a diminué, bien que le pays compte toujours l’une des plus grandes populations d’amateurs de jazz au monde. Le Japon avec le jazz a eu des relations très ambivalentes en étant à la fois les gardiens du temple (les rééditions et les travaux de catalogues venant du Japon) mais aussi présentant les avant-gardes les plus pointues.
Nous pouvons observer plusieurs éléments singuliers durant la projection Les trois personnages principaux du film représentent trois personnalités différentes, mais complémentaires. Le personnage principal, le saxophoniste Dai Miyamoto, qui incarne la passion pour le jazz et qui consacre sa vie à son art. On l’imagine d’origine de la classe moyenne et il se donne les moyens en travaillant à réaliser son rêve. Le pianiste de génie, Yukinori Sawabe, d’origine d’une famille de musiciens chevronnés, a une approche plus académique. Ces deux personnalités opposées sont soudées par le batteur, Shunji Tamada, qui est un autodidacte et débutant qui va s’investir avec acharnement dans son apprentissage. On peut deviner quelques références dans le film. L’entrainement de Dai Miyamoto au saxophone au bord de la rivière que l’on peut voir comme un clin d’œil à Sonny Rollins qui s’entrainait sous le pont de Brooklyn. Le solo de la main gauche du pianiste Yukinori Sawabe que l’on peut voir comme un clin d’œil au Concerto pour la main gauche de Maurice Ravel. Enfin, le club de jazz tokyoïte So Blue qui fait référence au fameux club Blue Note dont une version est présente à Tokyo. La référence également pour les petits clubs de jazz, les cafés jazz ou Jazz Kissa, d’une dizaine de places comme celui dans lequel les musiciens sont accueillis pour leurs répétitions par Madame Akiko, la patronne passionnée de jazz. La définition du jazz par le personnage principal résume ce que cette musique représente : « l’intensité et l’émotion ».
Ce festival qui réuni le septième art et la musique avait également programmé le film « En Fanfare » en ouverture le vendredi soir, issu de la sélection officielle de Cannes 2024. La journée du samedi a commencé avec un double hommage avec la projection de « L’Affiche rouge ». Hommage tout d’abord à Missak Manouchian et ses camarades des FTP qui ont été fusillé par les nazis et qui sont rentré au Panthéon l’année dernière. Le second hommage revient au réalisateur, Franck Cassenti, disparu l’année dernière. Il a réalisé de nombreux films sur les musiciens de jazz, avec notamment « Lettre à Michel Petrucciani », un flim sur Archie Shepp ou son film « Changer le monde ». Prix Jean Vigo 1976, « L’affiche Rouge », film de la même année, présente le procès et l’exécution des résistants joué par des acteurs avec des allers et retours entre 1944 et 1976. La musique du film est composée par le Cuarteto Cedron. Jean-Pierre Sakoun, Président d’Unité Laïque qui est à l’initiative de l’entrée au Panthéon du groupe Manouchian nous précise que le film est influencé politiquement et musicalement par les événements politiques et notamment les dictatures des années 1970.
L’après-midi, après la séance de « Blue Giant », nous poursuivons avec les évènements sociétaux et musicaux des années 1960 aux Etats-Unis. En suivant le parcours de chanteuses de folk Joan Baez à travers le film biographique qui lui est consacré, « Joan Baez I’m a noise ». Avec ce film récent de 2024 nous retrouvons les engagements de militante et le succès rapide que la chanteuse a embrassé jeune. Les images d’archives nous plongent dans le parcours musical partagé avec Bob Dylan. On se rend compte que c’est d’ailleurs la jeune chanteuse qui a contribué au succès de son jeune collègue. Ils ne livrent ni l’un ni l’autre qu’ils ont eu une « relation romantique » durant cette période de proximité durant des tournées. Sur le plan politique Joan Baez s’est rapidement engagée auprès des défavorisés et des opprimés. On la voit au côté de Martin Luther King pour la défense des droits civiques ou manifester contre la guerre du Vietnam. Musicalement cela nous ramène à l’époque des Protest Song, style regroupant les chants de révoltes, protestataires ou contestataires. On découvre la partie intime de sa vie familiale qui n’a pas toujours été facile et lui a procuré de nombreuses névroses. Les images actuelles sont également très touchantes avec sa tournée d’adieu de 2018, qui nous fait parcourir des salles de concerts en Turquie, aux Etats-Unis ou en France.
La soirée nous réserve une séance particulière avec un ciné-concert sur la projection de « Jour de fête ». Si pour notre génération les films de Jacques Tati n’ont plus de secrets, une séance avec de la musique nous apporte une nouvelle vision de l’œuvre. L’accompagnement musical est proposé par le groupe Diallèle. Ce trio est composé de Sylvain Lemaire à la guitare et aux claviers, de Ludovic Fiorino à la batterie et de Mathieu Lemaire aux saxophones, soprano et baryton. Sans dénaturer la bande son du film, puisque nous entendons les dialogues et les bruitages, avec notamment la fameuse sonnette du vélo de François le facteur qui est toujours présente, la musique vient habiller l’œuvre. Soit par petites touches pour ponctuer certains passages avec un seul instrument en solo. Ainsi, la batterie, le baryton, la guitare ou les claviers soulignent parfois un passage délicat, rythment une scène ou amplifient un gag. Soit en trio, ce qui permet de dynamiser des scènes comme celles de la fête. Les musiciens varient avec plaisir différents styles en passant par une musique de fanfare pour accompagner la parade de la fanfare du film à l’écran sur la place du village. Des airs de jazz, pour des scènes festives. Ils osent avec audace et beaucoup de réussite des morceaux rock pour les scènes de danse dans le bistrot du village. Des airs très rythmés accompagnent les cavalcades à toute allure du vélo du facteur et du tintement de sa sonnette. Leurs propositions musicales même modernes collent toujours aux images du film. La projection de « Jour de fête » en ciné-concert par Diallèle apporte une vision enthousiasmante et euphorisante de l’œuvre de Jacques Tati.
Nous terminons le festival avec en clôture, la projection du film « Saravah » de Pierre Barouh. Tourné au Brésil en 1969, une version restaurée cette année est proposée pour une diffusion 2024. Partenaire de l’association Ecran Village qui diffuse des films à Vernoux-en-Vivarais et à Lamastre, Cinezic propose une projection sur la commune de Saint-Jean Chambre. Cela permet une diffusion délocalisée sur la communauté de commune. Ce film dont le nom est également celui du label et d’une chanson de Pierre Barouh est un événement. Ressorti sur les écrans cette année, il était peu diffusé mais connu des amateurs de musiques. Le réalisateur, producteur, auteur, chanteur, acteur, promoteur et découvreur de talents nous plonge avec son documentaire dans les origines de la musique brésilienne. A l’aide de ses amis, Baden Powel, Paolinho da Viola ou Maria Bethânia, il nous fait découvrir la musique de cette époque au Brésil mais aussi de ses racines africaines. Ils explorent la Samba et la Bossa Nova issues du Candomblé, de la Macumba ou du Bérimbau. Baden Powel fait découvrir à son ami Pierre Barouh la dimension spirituelle de ces musiques traditionnelles originaires d’Afrique qui sont aussi des religions. Il précise que la musique brésilienne a intégré l’harmonie des musiques africaines, tandis que le jazz en a retenu la rythmique. Ils vont à la rencontre des fondateurs des musiques brésiliennes comme Joào da Baiana et Pixinguinha. Les témoignages de ces anciens qui démontrent les rythmes traditionnels comme les jam des musiciens de Bossa Nova et de Samba font la richesse de ce documentaire et sa valeur historique. La matinée se termine en musique live avec la Fanfare Zigomaclik de Romans-sur-Isère. Elle nous propose une musique festive de reprises et de chansons durant un apéritif de clôture.
Prêt pour la préparation de sa dixième édition en 2025, Cinezic est un festival convivial qui partage le sens de la fête. D’ailleurs, l’affiche de cette édition indique : « Mise en scène : Une bande de potes », et c’est bien le sentiment que l’on ressent avec l’énergie et l’enthousiasme des membres de l’association qui organisent cette manifestation. Le festival diffuse une programmation de qualité qui soutient toutes les musiques avec les nombreuses pépites cinématographiques qui sont parfois rares à l’écran comme celles de cette année.