Amis musiciens ! Vous voudriez que votre petite formation sonne comme un big band ? J’ai la solution : demandez à Rubinho Antunes et à Yvan Baldet de vous concocter des arrangements sur mesure. Effet garanti, confirmé ce soir par le plaisir évident que les spectateurs de ce concert ont ressenti, tout au long de la soirée. Pour ce concert Rubinho avait réussi à s’entourer de ses amis qui sont la fine fleur du jazz de notre région (et au-delà). Il y avait Yvan Baldet (saxophone ténor), Michael Chéret (saxophone ténor), Eric Maiorino (guitare), Laurent Courtois (ce soir à la contrebasse), Matthieu Fattalini (trombone) et Luc Baieto (batterie).
Comme à son (excellente) habitude, Laurent nous a conté des anecdotes sur Golson bien sûr et sur les immenses vedettes (légendes du Bop et Hard Bop) maintenant disparues dont il était le dernier survivant… jusqu’il y a quelques mois. Ce concert hommage a donc pris une dimension supplémentaire et symbolique, imprévue.
La première partie a été consacrée à de doux swings, avec d’emblée un chorus d’Yvan, aux décalages rythmiques subtils et au son soyeux, idéalement adapté à l’atmosphère de Little Karin. Puis Rubinho a pris un solo, richement inspiré. Along Came Betty, thème délicat et riche en modulations, nous a permis d’apprécier la créativité harmonique des arrangements de Rubinho Antunes, (n’est-il pas brésilien ?!). Dès son premier chorus, Michael Cheret a fait montre d’une couleur de son et d’un style bien à lui ; c’est la marque des grands artistes, qu’on sait reconnaître dès les premières notes. Michael monte dans les aigus, et les notes virevoltent au gré de ses inventions. Mais derrière et tout au long du concert, Eric Maiorino donne à sa guitare un son moelleux qui évoque les alizés et délicatement, comme sur la pointe des pieds, place des touches harmoniques et des accords subtils. Killer Joe donne ensuite l’occasion à Laurent Courtois de faire sonner sa contrebasse, alternant passages en double cordes et glissando sensuels. Puis Matthieu Fattalini « lâchera son jeu » pour un chorus fort réussi. À la fin, tous reprendront le thème en une sorte d’improvisation collective : du bel ouvrage ! Dans la même idée, il y a eu la fin de Blues After Dark, délicieusement dissonante.
Autre très grand thème de Golson, ce Whisper Not, dans lequelle Yvan a de nouveau démontré sa maîtrise du « teasing » par l’ellipse.
Changement de rythme après l’entracte : du swing nous sommes passés à Blues March et toute la troupe a défilé au rythme strict de la caisse claire de Luc Baieto. Ce dernier, solide, mais aussi discret lorsqu’il le faut, nous proposera un chorus remarquable, notamment par un très beau travail sur les toms, avant de ramener sa troupe en ordre militaire. L’arrangement superbe de Rubinho aurait sans nul doute enthousiasmé les membres des Jazz Messengers, dont ce thème était quasiment l’hymne ([NdlR : et également indicatif de la célèbre émission de « Pour ceux qui aime le jazz » sur Europe n°1 de 1955 à 1971]). Ensuite Yvan a lancé Minor Vamp, sur un tempo…surmultiplié, et de « walking bass » Laurent est passé à « running bass », sans faiblir ! Sacrée performance !
Un autre hommage a été rendu cette fois à Gershwin (et Satchmo et Ella !) à travers un superbe It Ain’t Necessarily So, ce blues éternel dont Yvan avait délicatement épousseté les restes de coton, pour le faire swinger: il fallait oser, et les musiciens y ont pris un plaisir manifeste (Mathieu, Rubinho et aussi Eric qui a même cité Softly, as in a morning sunrise : c’était magnifique).
Enfin, dans I Remember Clifford les musiciens (notamment Rubinho, Michael et Eric) ont mis tant de délicatesse et de sensibilité dans leurs chorus que le public n’a pas applaudi entre les chorus, pour ne pas rompre cette communion autour du souvenir de Clifford Brown.
Alors quand Laurent Courtois a annoncé le dernier titre le public ne pouvait croire que le temps avait passé si vite.
Merci à Rubinho et ses amis pour cette soirée magnifique et mémorable.