30/11/2024 – Mohamed Abozekry & Wadie Naim à l’Espace Tonkin pour le festival Les Guitares

30/11/2024 – Mohamed Abozekry & Wadie Naim à l’Espace Tonkin pour le festival Les Guitares

L’oud de cœur

 Avant l’arrivée de décembre, le festival « Les Guitares » proposait à l’Espace Tonkin un duo oud/ percussions, de quoi réchauffer les âmes (« Âme de cœur » est d’ailleurs le nom du dernier disque paru en avril dernier du sextet de Mohamed Abozekry). Côté salle, ce n’était pas gagné puisque la froidure était de mise à l’intérieur, le groupe disposant heureusement de son petit radiateur de tournée (mais qui désaccordait bien le oud, instrument très sensible aux variations de températures).

Quand les deux musiciens égyptiens pénètrent sur la scène, le public est déjà conquis d’avance. Il faut dire que Mohamed Abozekry est lyonnais d’adoption et que de nombreux amis se trouvent dans la salle. Selon ses dires, lorsqu’il revient dans la capitale des Gaules, il a un peu l’impression de revenir à la maison… Le prodige de l’oud de trente-trois ans est un musicien accompli après avoir étudié très jeune à « la Maison du luth arabe » (équivalent de notre conservatoire national de musique), il a été enseignant, est venu en France étudier notamment le jazz, et est un compositeur de musiques de films prisés en Egypte. Il a également réalisé plusieurs disques avec son groupe Hee Jaz. Le oudiste, s’il est un as de la musique instrumentale, ne s’est autorisé qu’assez récemment de se présenter également comme chanteur à part entière. Et pour être franc, il a une belle voix, mais rien d’exceptionnel contrairement à sa maîtrise technique de l’oud, qui ne nous a pas autant fascinés depuis les deux maîtres tunisiens chers à notre cœur : le grand Anouar Brahem (que nous retrouverons au printemps prochain à l’auditorium avec une belle excitation !), et Dhafer Youssef qui nous émeut toujours autant. Bref, Mohamed joue dans la cour des grands et son acolyte aux percussions a un peu le même profil, avec pareillement un passage dans l’Hexagone au moment de son apprentissage pour l’étude de la batterie jazz. Wadie Naïm est une révélation avec son kit, mi percussions/ mi batterie, sa darbouka sonne terrible avec l’usage des balais en plastique ou même à main nue… Il a une finesse de jeu et une sensibilité inouïe et c’est bien dommage qu’il n’ait pas été mis davantage en avant pour des chorus ; étant relégué par le front man à l’oud à un statut de simple accompagnateur, alors qu’il a un style de jeu et un son qui méritaient une plus ample valorisation et autonomie…

Le premier morceau traduit par Je me suis retourné adossé au second La mer offrent de nombreux changements de tempos en cours de morceau. L’ambiance de fait lunaire au moment du titre Un arbre pour lequel le joueur d’oud invite le public à fermer les yeux… Un beau moment suspendu. Il enchaîne ensuite par une chanson qui parle de la quête identitaire, Quand tu as peur, qui semble inspirer le compositeur. L’avant-dernière chanson est la plus belle de la soirée et elle se situe d’après Mohamed Abozekry au niveau des influences entre Satie et la Pop-Soudanaise… Un régal pour le virtuose de l’oud qui laisse entendre des fragments des « Gymnopédies » du compositeur français natif d’Honfleur mêlés à des sonorités plus actuelles. Le set décolle avec grâce et sensibilité, faisant tout oublier jusqu’à la température de la salle. Le dernier morceau du concert est le titre éponyme de l’avant-dernier disque en quintet, Karkadé qui faisait la part belle à la chanson du sud de l’Egypte et rendait hommage à une des grandes interprètes du genre. Pour le rappel, l’oudiste propose une improvisation qui est à double tranchant (« où il se passe quelque chose ou pas »), sur un rythme plutôt endiablé…

Le hic, c’est que Mohamed oublie d’associer Wadie et ne lui laisse pas beaucoup de place, ne communique pas avec lui… On est loin de l’esprit jazz de partage, c’est dommage.Il se pose en leader point barre et oublie son collègue qui a pourtant affiché de belles couleurs à la musique toute la soirée et a apporté une finesse dans son jeu qui a ravi nos oreilles engourdies…Ce sera le regret de la soirée qui comportait par ailleurs de très belles sensations et une formidable musicalité.

 

 

 

 

Musiciens :

Mohamed Abozekry: oud, voix

Wadie Naïm: percussions

Auteurs/autrices