Jacob à très grande échelle
Révélé en solo avant de multiplier les collaborations, former un groupe et construire un répertoire qui englobe magistralement tous les genres, le (toujours) jeune et prodigieux multi-instrumentiste britannique Jacob Collier construit en seulement quelques années une œuvre ambitieuse, Djesse, véritable épopée musicale avec pas moins de trente sept chansons et vingt-cinq feats. dont il livre dans une vaste tournée mondiale le quatrième volet. Toujours aussi époustouflant, comme constaté pour son premier passage lyonnais dans un Radiant-Bellevue blindé et émerveillé !
On l’avait découvert en solo cerné d’instruments en première partie de Chic à Vienne en 2016, là où nous l’avons retrouvé avec bonheur l’année dernière cette fois solidement entouré d’un band pour un show mémorable (quels lights !) malgré le déluge qui s’abattait sur des gradins galvanisés. Le multi-instrumentiste prodige qui a eu trente ans en août dernier tout en gardant ses éternelles bouille et dégaine adolescentes, s’est en effet, lancé depuis cinq ans déjà dans une œuvre ambitieuse, Djesse, véritable épopée musicale en quatre parties et autant d’albums englobant tous les genres. Une progression naturelle chez ce précoce génie boulimique picorant sans a priori tout ce qui est délectable, et qui s’est ouvert aux collaborations mondiales pour ces quelque trente-sept chansons incluant pas moins de vingt-cinq feats. éclectiques et prestigieux.
Après que Djesse v.3 entendu l’an dernier ait été élu album de l’année -onze fois nominé et décrochant cinq Grammy Awards (ce qui en fait un record pour un artiste britannique), Jacob achève d’égrainer son Collier de perles avec ce Djesse v.4 livré en live mardi dernier, pour un tout premier passage lyonnais qui a naturellement blindé un Radiant irradié. D’abord, avec une première partie où, en une demi-heure, l’on s’est d’emblée laissé séduire par la nu-soul sensuelle de Lindsey Lomis en guitare-voix à effets cristallins, agréable découverte que visiblement nombre de spectateurs génération Z appréciaient déjà. Une artiste que l’on va d’ailleurs retrouver aux côtés de deux autres jeunes chanteuses et musiciennes (claviers, percussions) formant le septet de Jacob Collier.
Une célébration extatique de la voix humaine
Un maître de cérémonie que l’on retrouve pour la première fois en salle, incroyablement à l’aise et d’un charisme lumineux pour connecter à sa folle épopée sonore une foule où chacun trouvera son comptant content. Tout entouré de son solide band pourvu bien sûr d’un trio rythmique guitare-basse-batterie ultra-carré, le garçon aux pieds nus, en hyperactif qui ne tient pas en place, passe allégrement du piano à la guitare, de la basse à la batterie électronique, farfadet malin plein de dérision qui n’oublie pas de faire le pitre en multipliant les mimiques. Et, si tous les instruments y passent, tous les styles aussi s’y marient et s’y confondent, nourrissant subtilement ce grand-oeuvre canevassé de pop, soul, funk, R&B, P.Funk, latino, rap et hip-hop, mais encore folk, classique, parfois dans l’esprit de la comédie musicale comme de la B.O. Incroyable melting-pot total dont les savants et judicieux dosages et montages révèlent tout le génie de l’alchimiste, aussi bien dans ses compos que dans les étonnantes reprises qui ont fait sa prime notoriété. Comme notamment ce soir avec une chanson de Joni Mitchell interprétée en duo avec la voix de la claviériste, ou sa fameuse version du Somebody to Love de Queen qui embrasse avec lui tout le public dans cette set-list bigarrée qui entend faire une célébration extatique et mondiale de la voix humaine.
Stupéfiante communion
Et franchement, on aura rarement entendu telle communion avec l’auditoire, depuis que Jacob a progressivement transformé chacun de ses publics de concert en chœurs tentaculaires et improvisés qu’il semble diriger d’instinct, avec un rendu harmonique aussi bluffant que totalement fascinant. Des foules de fans qu’il a d’ailleurs enregistrées puisque pas moins de quatre-vingts chœurs de différents auditoires -soit environ 150 000 voix différentes ! – ont joué un rôle dans l’histoire et la création de Djesse. Et pour l’avoir vécu ce soir on confirme que «ça le fait grave», même quand ils ne sont que «seulement» deux mille mais d’une impressionnante justesse, avec une qualité sonore dans les variations des canons qui relèvent du religieux.
En deux heures pile au compteur, c’est fou de constater ce que l’on peut faire faire à un public quasi magnétisé et comme gouroutisé par les bonnes ondes émises par le jeune artiste qui, en rappel, nous fera cette fois du beat boxing du meilleur effet, avant de déboucher -qui l’eut cru- sur une Marseillaise entonnée spontanément par la salle !
Alors quand on sait que l’insatiable Jacob a encore dans ses futurs projets l’envie d’aborder tout à la fois le piano solo, la direction orchestrale, le théâtre musical, l’écriture de B.O. et l’enseignement… on se dit que son mentor, celui qui a découvert et porté le jeune ado qui avait composé seul dans sa piaule « In my room » (2016), le tutélaire Quincy Jones ne s’était une fois de plus pas trompé en misant sur son dernier poulain. Tandis que Mister Q. vient juste de tirer sa révérence en nous laissant comme compositeur et producteur un héritage fastueux, nous reste aujourd’hui celui qui sans doute sera l’un de ses plus dignes successeurs. L’échelle de Jacob, âgé de tout juste trente ans, semble en effet, infinie.