10/03/2025 – Samara Joy à l’Auditorium de Lyon

10/03/2025 – Samara Joy à l’Auditorium de Lyon

L’hymne à la Joy

 Entre compos inspirées et reprises de standards judicieusement revisités, le répertoire de la jeune diva aux déjà trois Grammys Awards  porté en scène avec ses solides Young Lions consacre toute sa remarquable amplitude vocale. Un large spectre développé avec un grain séduisant qui met en joie, ajouté à une élégante décontraction due à sa génération et qui viennent confirmer que son statut de «digne des plus grandes» n’est en rien usurpé. Prometteur en tout cas.

Pour qui suit l’évolution du jazz dans le temps et sa perpétuelle actualité, on a l’habitude au gré des années et à chaque décennie de voir éclore à rythme cadencé de nouvelles révélations. Notamment dans le jazz vocal au féminin, que l’unanimité critique s’empresse de tamponner du sceau définitivement approbateur de « Nouvelle sensation, nouvelle Ella (Fitzgerald), nouvelle Sarah (Vaughan) ou nouvelle Nina (Simone), nouvelle Billie (Holliday) ou nouvelle Betty (Carter) ». Elle c’est Samara, et il se pourrait bien que cette fois l’étiquette ne soit pas démesurément surgonflée la concernant, d’autant que la demoiselle peut tout à fait se parer à elle seule de toutes les qualités des susnommées. Un parcours qui un jour peut-être aura son biopic, cochant toutes les cases du storytelling de rêve. Une jeune fille noire du Bronx new-yorkais, issue d’une famille de musiciens soul et gospel, et qui à tout juste vingt-cinq ans aujourd’hui, est déjà auréolée de trois Grammy Awards.

Consécration et première à Lyon

Une consécration pour la timide étudiante sortie de l’anonymat par un premier album, des ballades intemporelles révélant son velours profond, ce grain irrésistible qui l’emmènera sur le mythique label Verve signer «Linger Awhile» avec lequel la jeune chanteuse a été sacrée meilleure nouvelle artiste et meilleur album de jazz vocal. Surfant sur ce succès pleinement mérité, elle a publié «Portrait» à l’automne dernier, second opus chez Verve mêlant compos puisées à la fois dans ses origines familiales et dans son parcours sur les routes qui aura mûri son expérience scénique, et comme souvent une sélection de standards qu’elle revisite à sa manière, épaulée par ses Young Lions, un septet masculin bien charpenté. C’est ce nouveau répertoire que Samara Joy, la bien nommée, présentait lundi dernier à l’Auditorium, pour sa première venue à Lyon où se sont pressés plus de mille six-cents spectateurs.

Sans doute pour retrouver les mêmes dispositions qui ont prévalues à l’enregistrement du disque, -à savoir des conditions live avec les sept instrumentistes réunis tous ensemble dans une petite pièce-, les Young Lions en question sont ramassés en un pack serré sur le grand plateau où ils entament le set, tous très smarts en costard-cravate. Le temps que la chanteuse, plantureuse dans sa robe courte en strass, les rejoigne d’un pas tranquille, et l’on reconnaît l’inévitable Around Midnight en ouverture où déjà, les variations d’amplitude de ses vocalises et son sens inné du swing coulent de source, sous l’apparence d’une élégante décontraction. Un sens du timing surtout, et du feeling aussi, comme dans le jeu de distance avec le micro, pour mieux accentuer chaque nuance, tel qu’elle le fait sur Beware my Heart, au groove porté par la contrebasse de Paul Sikivic. Une ligne solide donnant l’occasion d’un solo de flûte jouée par le sax ténor Kendric McCallister, suivi d’un chorus du trompettiste Jason Charos, tandis que la maîtresse de maison n’hésite pas à s’effacer dans l’ombre en emportant même son pied de micro pour laisser ses solistes prendre la lumière, notamment son pianiste Connor Rohrer.

Puis c’est l’alto  de David Mason qui est à l’honneur sur le swinguant Day by Day, porté par le drumming vivace et précis d’Evan Sherman. Un boulevard pour le scat de la jeune diva dont la voix manque un poil de son, surtout pour ses graves profonds parfois bouffés par l’orchestre (tout du moins de là où nous sommes placés [NdlR: les récurrents soucis de son avec de la musique amplifiée à l’Auditorium ?]). On entendra mieux le trombone de Donovan Austin qui a décollé de sa chaise pour un long chorus appuyé.

Assurance et coolitude

On l’a dit, Samara Joy qui a visiblement pris de l’assurance n’en perd pas cependant la coolitude de sa génération, comme quand elle se pose tranquillement sur un tabouret pour entonner avec une douceur lascive le slow langoureux d’ IGot it Bad et ses cuivres veloutés, sur quelques notes de piano. Un titre aux effluves bluesy, strié de piques de trompette, se faisant plus lourd par un tempo martial et une contrebasse creusant les graves à l’archet.

Le temps de nous dire combien elle est très heureuse d’être dans ce bel auditorium pour sa première fois à Lyon, et nous faire sourire en se disant surtout «very happy» de ne pas être sur le sol américain dans le contexte du moment (!…), et voilà You Stepped out of a Dream et sa rythmique plus latino brasil, à la fois alerte par le piano et léger dans son rendu d’ensemble. La vocaliste y chante les notes en se (con)fondant dans celles de la trompette, tout en les tenant pareillement en suspension.

Ouvert par le piano, Now and Then nous offre une caresse de l’alto et l’on reste suspendu aux lèvres de l’interprète tandis que le swing reprend à l’arrière avec un beau drumming. Une voix qui entame longuement à capella Worry Later, avant que la rythmique ne redémarre, speed et syncopée, avec une battle entre piano et batterie. Comme sur la compo Beware my Heart, on aime la flûte charmeuse qui revient pour Ugly Beauty, tout en finesse comme son chorus d’alto, Un titre où la voix de Samara Joy est à rapprocher d’un oiseau, en l’occurrence le rossignol de Reincarnation of a Lovebird emprunté à Charlie Mingus pour lequel elle a fait une adaptation vocale.

Une voix enchantée dont le phrasé oscille souvent quelque part entre les musicals et le lyrique, ajoutée au swing orchestral des Young Lions qui s’envolent comme encore sur Little Things, et qui bénéficie d’un tempo batterie/contrebasse aussi métronomique qu’un balancier à l’image de Little Karin, il n’en faut en effet, pas plus  pour fondre de plaisir et de joie. Avec en feu d’artifice vocal un impressionnant scat en fréquences hautes pour conclure le set par un No more Blues plus latino où rutilent les cuivres, avec notamment un dialogue enlevé entre trombone et trompette. Et, c’est un blues plus boogie cette fois qui entraînera le public -une fois qu’il soit raccord dans le tempo de ses claps, c’est mieux…- qui sera offert en rappel avec Mental Phrasing.

Auteurs/autrices