14/03/2025 – Robinson Khoury « Mÿa » au Solar

14/03/2025 – Robinson Khoury « Mÿa » au Solar

Il n’est pas si courant d’assister à l’éclosion d’un monde. Du monde selon Robinson Khoury. C’est pourtant ce qu’ont vécu les auditeurs venus -en masse- au Solar. Certains s’étaient-ils déplacés pour approcher le tout récent lauréat du prix Django Reinhardt, prestigieuse distinction qu’il a reçue le 10 mars dernier ? Peut-être.

Mais l’essentiel est ailleurs, dans la promesse d’une soirée qu’on imaginait tacitement belle. On ne va pas se lancer dans la bio du Viennois, bercé dès la naissance en 1995 par le chant maternel et le piano inspiré du papa, jazzifié tout jeune par un festival bullant dans les airs et virtuose tromboniste aux collaborations aussi bien senties que diverses. Non. Ce qui s’est passé vendredi suffira à cette chronique. Signalons d’abord qu’il n’était pas seul à bord de sa nef créative. Une renversante percussionniste nous a laissé pantois, c’est Anissa Nehari. Un pianiste de bon aloi s’en faisait le complice, c’est Léo Jassef. A ces trois-là, il faut encore ajouter un synthétiseur duquel émergeaient de multiples cordons ombilicaux et quelques autres bizarres instruments à vent. Bref, la scène était très encombrée de trucs vibrants de toutes parts. On sentait une explosion prochaine et elle mit peu de temps à venir, avec Robinson Khoury pour architecte sensible de ce big-bang musical. C’est le silence d’abord, puis des sons électro-magnétiques enflent et tapissent la scène d’une atmosphère sonore organique.

On vient de se poser en légèreté sur un Horizon . C’est celui tiré de l’album MŸA , publié en juin dernier (label Komos). Ce sont d’ailleurs surtout les titres de ce troisième opus qui seront joués et ils n’ont rien d’anodin. D’abord Mÿa, le morceau éponyme, dont l’aura phonétique féminine laisse planer un mystère fécond, histoire de faire naître des mondes. Puis Qānā, nom d’une ville du sud Liban, un pays cher au cœur de Robinson qui y a des racines familiales paternelles. Ce sera l’occasion pour lui « d’une pensée pour tous ces gens bombardés en ce moment, le souhait d’un cessez-le-feu partout et de la liberté d’expression ». Citons encore Cosmos ou Quelque chose bouge.

Arrêt sur image ou plutôt sur chronique. J’allais oublier la moelle épinière du concert. C’est la voix qui est partout. À vrai dire, tout parle dans cet album, le tromboniste conte, le trombone narre, les musiciens chantent. C’est assez vite qu’on le comprend: on nous raconte en fait une histoire, dans laquelle des sons dévident leur flot d’influences variées, de grondements urbains, de volupté arabisante, de rythmiques synchrones, de jazz explorateur. C’est l’histoire, vraiment, d’un monde qui naît, mais sans violence, sans cri, comme une galaxie feuilletée d’atomes venus de longtemps, au pouls à la fois tribal et contemporain. Et, tenez-vous bien, cette histoire unirait l’espace, car « il semblerait que quelque chose bouge de l’intérieur ». Alors là, bon sang, c’est bien sûr, on comprend carrément. On est depuis le début en salle d’accouchement et, tandis que le ventre plein du trombone ouvre en chuintant son corps sonore, une polyphonie de tendresse s’échappe de voix en connivence.

Le projet est beau, authentique, à la fois pudique et explosif. Le public sort impressionné, d’autant qu’en rappel le prodigieux tromboniste et son trio nous offrent un p’tit coup de groove en rab avec un Bach pas du tout incongru dans cette cosmogonie astrophysicienne.

Sinon, comment s’appelle le petit ?

 

[NdlR : Robinson Khoury et son projet « Mÿa » feront l’ouverture du Club de Minuit à Jazz à Vienne dans la nuit du 26 juin 2025.]

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