
La quatrième édition de Jazz en Avril à Roanne débute avec un Ciné Concert mémorable en partenariat avec le cinéma Espace Renoir. Le film américain muet « Borderline », réalisé par Kenneth Macpherson et tourné en 1930 dans les montagnes suisses, est d’une modernité impressionnante. Il tourne autour de deux couples, l’un blanc, l’autre afro-américain (lui noir et elle métisse), une liaison amoureuse entre eux induisant des scènes entre déchirement, violence et réconciliation, le tout sur fond de pension de famille tenue par deux femmes homosexuelles. Autour vivent des villageois bigots ainsi qu’une vieille dame malicieuse et raciste. Les prises de vue, gros plans sur les mains des acteurs, leurs yeux et leurs tourments, quelques scènes de la vie quotidienne, sont résolument avant-gardistes agrémentées par de beaux paysages enneigés de Suisse.
Quelle idée fabuleuse du Duo Réflections d’accompagner ce chef-d’œuvre cinématographique retrouvé par hasard en Suisse en 1983. Leur entente est parfaite et si nous avons pu penser un instant que le piano puisse faire de l’ombre à la guitare nous nous sommes fourvoyés. Les sons se complètent, la parole glisse avec fluidité de l’un à l’autre, chacun improvise avec une grande liberté tout en collant divinement bien au scénario.
Au piano, Sylvain Rey, passé par le collège de Marciac avant de rejoindre le conservatoire d’Agen puis la faculté de musicologie jazz de Toulouse, débute l’accompagnement sur le générique avec un thème aux notes assez espacées qui nous fait rentrer avec délicatesse dans le film. Celui-ci reviendra plusieurs fois tout au long du tournage
Un nouveau thème apparaît, beaucoup plus tourmenté, posé par Leandro Lopez-Nussa à la guitare. Encore un artiste tombé dans le chaudron familial de la musique cubaine tout petit avec un père batteur, des cousins, pianiste (Harold Lopez-Nussa) et batteur (Ruy Lopez-Nussa). Il est bientôt rejoint par le piano sur cette scène de confrontation entre les deux amants.
Nouveau thème arpègié très doux qui représente l’amour pur que porte Pete, le mari noir trompé, à sa femme qu’il essaye de reconquérir. Des séquences de bruitages sur le piano, des sons également surprenants à la guitare, mais j’avoue que la musique colle tellement au scénario que parfois on en oublie la présence de vrais musiciens !!!!!
Dans la salle commune de la pension il y a aussi un pianiste et le duo nous surprend avec l’arrivée d’un blues qui ramène un peu de calme entre les tensions fortes de ce film. En effet, nous arrivons au moment de la mort de la femme blanche après une altercation avec son mari, la confrontation reprend avec une belle dualité des musiciens.
Des improvisations libres de la part de chacun tout en restant en permanence en lien, de la musique de haut niveau qui enchante nos oreilles et fait vibrer nos émotions déjà à rude épreuve avec le scénario.
La chute du film nous ramène à l’éternel problème du racisme et de la politique, Pete l’afro-américain doit quitter la ville alors que le meurtrier blanc est acquitté. Mais nous ne lancerons pas de débat sur ce thème car nous revenons à l’instant présent en applaudissant chaleureusement le Duo Réflections pour son superbe accompagnement.