À 20h45 (quart d’heure lyonnais oblige…) arrivent sur scène la chanteuse Jane Cockell habillée de noir avec une veste blanche, entourée de Jean-Louis Almosnino et sa Gibson à jardin et Michel Molines à cour avec sa contrebasse. Les applaudissements sont nourris, car beaucoup des auditeurs présents ce soir semblent connaître, qui Jean-Louis, qui Michel, qui Jane…
L’artiste avec sa voix chaude et expressive entame No moon at all et l’émotion est tout de suite palpable, sa technique est parfaite et les deux musiciens sont de vrais virtuoses qu’on ne présente plus. Le second morceau est une ballade qu’on a pu entendre interprétée par Barbra Streisand. Send in the clowns dont elle nous explique la genèse : une dame refuse la demande d’un homme et lorsqu’elle se rend compte de son erreur, c’est lui qui ne veut plus la relation… « Envoyez les clowns, ce n’est pas la peine, ils sont déjà là ! » La musicalité de l’interprétation alterne avec le jeu de Jean-Louis et Michel qui forment un écrin à la voix de Jane.
Arrive alors Glacier bleu composé par Jean-Louis où Jane a posé des paroles. Il avait entendu un « son glacial et aérien » en branchant un synthétiseur et elle a écrit un texte évocateur en français tandis que ses deux accompagnateurs renforcent le caractère minéral et froid de ce morceau. Jane reprend ensuite sa langue maternelle, elle qui est née en Angleterre, après avoir expliqué en français le titre You’d be so easy, « qu’il serait si facile de tomber amoureuse de toi », moment où la virtuosité de la chanson se termine avec finesse et dynamisme.
Les auditeurs reconnaissent ensuite My funny Valentine où une femme parle de son petit ami en termes flatteurs : « Il n’est pas beau, il est drôle quand il parle mais il la fait sourire dans son cœur, et c’est donc tous les jours la Saint Valentin » Les musiciens ont un long échange entre les phrases chantées de Jane. Vient le tour de Farewell qu’elle traduit par « Adieu, porte-toi bien et bon voyage » qui prend une résonance particulière puisqu’elle a écrit ces paroles en 2020 sur une musique de Stéphane Rivero, contrebassiste lyonnais trop tôt disparu. Michel y trouve d’ailleurs une partition à la mesure de sa vélocité et son talent.
Avec rapidité et entrain, There will never be any you montre la cohésion du trio, la contrebasse ponctuant ces échanges où Jane nous avait prévenus « qu’il y aura d’autres lèvres, d’autres amours, mais jamais un autre toi ». Le trio termine son premier set avec Both side now de la Canadienne Joni Mitchell, qui inaugurait une série de chansons personnelles mettant en exergue les rapports illusoires qu’on peut avoir avec la réalité. Notre réalité à cet instant est la possibilité de profiter d’un échange positif, chaleureux, sensible entre ces musiciens, qui outre une technique parfaite, savent nous proposer une musique qui « fait du bien »…
Après un entracte mérité, le trio revient. It’s wonderful où Jean-Louis nous gratifie immédiatement d’une impressionnante maestria sera applaudi avec grand enthousiasme par le public resté en nombre. Michel entame ensuite un long solo expressif et sensible pour annoncer If I had seen où Jane nous laisse entrevoir l’étendue des possibilités de sa voix chaude et profonde, n’hésitant pas à reprendre son registre lyrique, Jean-Louis et Michel finissant en duo.
Pour une nouvelle composition de Jean-Louis intitulée sobrement Black bird, nous apprécierons l’évocation du combat des « Noirs américains pour leurs droits civiques », comme la chanson éponyme de Paul McCartney, inspiré d’une bourrée de Bach qu’il tentait alors de jouer ! C’est bien sûr particulièrement le jeu virtuose du guitariste qui suscite les applaudissements nourris à la fin du morceau. Lorsqu’il entame ensuite un solo, nous allons vite nous imprégner d’Amazing Grace qui devient un duo instrumental, tendre et musical.
Jane attaque ensuite After you’ve gone enregistré depuis sa création au début du XXème siècle par de nombreux artistes, qui est devenu depuis un standard où la mélodie est positive tandis que les paroles évoquent la tristesse de se retrouver seul et démuni. Bessie, Billie, Ella… et Jane, toutes nous entraînent dans cette ambiance blues qui sied aux paroles, l’engagement des musiciens étant toujours là !
Lorsque les applaudissements cessent, un solo de Jean-Louis annonce une nouvelle composition personnelle : Sambipa qui lui a été inspirée par le Samba pa ti de Carlos Santana, effectivement « une samba pour nous ». L’exécution parfaite de Jean-Louis, soutenue par la contrebasse jouée à l’archet, sera écoutée avec grande attention. Pour Spain, Jane nous entraînera dans son univers rapide puis plus lent, les musiciens se répondant avec facilité et enthousiasme, les auditeurs retenant leur souffle jusqu’au point d’orgue où ils laissent éclater leur joie et leur gratitude pour cet excellent moment en applaudissant longuement. Jane remercie alors le public, Ludwig, Martine, Barnabé, les bénévoles… et ils quittent la scène.
Ils reviennent bien sûr très vite pour un chant de Noël où elle répète plusieurs fois « Merry Christmas to you » pour mettre une note finale à ce moment suspendu où, comme souvent dans le spectacle vivant, nous avons pu apprécier des notes, des paroles positives, aimantes, où la voix de Jane a été très bien mise en valeur par la guitare de Jean-Louis et la contrebasse de Michel.
Jazz, blues, samba, lyrisme du chant, Jane Cockell a su, durant deux sets d’une heure, nous faire partager son univers ; cette belle découverte ne restera pas sans lendemain pour bon nombre d’auditeurs présents ce soir, d’autant que mes voisins de concert, qui ont la chance de partager son enseignement dans une chorale, me précisent que son étendue vocale peut être encore plus impressionnante : elle nous a indiqué elle-même durant le concert, qu’elle était aphone il y a encore deux jours.
Nous suivrons donc ses prochaines apparitions dans cette formule en trio, avec la perspective de vibrer à nouveau…