Quand il y a du polar, il y a souvent des truands, des gangsters, des mobsters. Donc la police n’est pas loin, plutôt juste derrière en général et les flics sont partie prenante de ce genre littéraire avec de sacrés personnages également. Mais la justice alors ? Car le pouvoir judiciaire s’il est bien présent, on en parle moins !
Cette conférence musicale dans le cadre du festival Quai du polar qui a lieu à la Fnac Bellecour répare cette injustice, c’est un comble ! Conférence, car Fabrice Epstein va nous parler de ce sujet avec passions celles de la musique et de la justice, musicale, car la DJ Mimi Génial va l’illustrer avec des morceaux de musique et Philippe Manche va l’animer comme modérateur.
Et l’on commence fort, car pour se mettre dans l’ambiance Mimi Géniale nous passe quelques standards de jazz dont A love Supreme de John Coltrane. Fabrice Epstein, nous confie que sa passion pour la musique vient d’une période d’immobilité suite à une jambe cassée à l’âge d’une dizaine d’années lorsque qu’il écoute les vinyles de son père : les Beatles, les Stones, les Doors, Bob Dylan, Janis Joplin…Lorsque plus tard, il a envie d’écrire sur le sujet de la musique et ses cent disques préférés tout a été dit ou presque. Il s’aperçoit que son métier d’avocat l’amène à s’intéresser à des affaires judiciaires du monde de la musique et qu’il a surtout accès à toutes les sources des décisions de justice.
Son exposé commence avec le procès des Sex Pistols sur le titre de leur seul album studio Never Mind The Bollocks, Here’s the Sex Pistols qui démontre que le Rock est une contre-culture. De même, la musique noire est un moyen de se faire entendre. Nous faisons une première pose musicale avec l’écoute de Moonglow par Billy Holiday. Ce titre montre que la musique noire est bâillonnée aux Etats-Unis. L’auteur ajoute que c’est une musique de combat et de contestation. Il poursuit avec deux exemples. Celui de Fables of Faubus, la chanson de Charles Mingus qui dénonce l’opposition du gouverneur de l’Etat de l’Arkansas, Orval Faubus, à la déségrégation des écoles décidé par un arrêté de la Cour Suprême. Ainsi que celui du boxer noir américain Rubin Carter, surnommé Hurricane dont Bob Dylan a fait une chanson avec le titre éponyme, dans le style prostest song, pour dénoncer le procès bâclé dont est victime le boxeur. Le conférencier qualifie cette justice de procès de noirs face à un juge blanc.
La deuxième écoute nous amène vers les Rolling Stone avec Shine a light qui est un titre d’un style très blues. Concernant les droits d’auteurs ce groupe a toujours été correcte en créditant les bluesmen qu’il a reprit. En revanche, Fabrice Epstein relate l’évènement du festival d’Altamont en 1969 où un jeune noir est assassiné par les Hells Angels chargé du service d’ordre du festival. Les musiciens n’auront aucun scrupule ni remords de remonter dans l’hélicoptère qui les éloigne du site après leur set. A l’inverse, Led Zepplin réalise un pillage systématique des bluesmen dont s’inspire ce groupe. Les auteurs véritables des morceaux sont généralement cités sur leurs albums après le deuxième ou le troisième pressage. Ils sont définis comme le plus grand groupe de reprises du monde et la liste des chansons plagiées issues de leurs procès est longue ! Enfin, si Eric Clapton rend hommage aux bluesmen dans sa musique, il n’est pas très correct pour autres raisons. Notamment pour l’utilisation d’un tableau pour illustrer son album Leyla and others assorted love songs sans le consentement de l’artiste.
La troisième écoute nous amène vers James Brown avec Say It Loud – I’m Black and I’m Proud. Cela permet à l’auteur d’évoquer l’héritage des droits musicaux pour dix million de dollars du chanteur. Il a décidé d’en faire don pour les défavorisés et les orphelins de son Etat d’origine. La famille et les ayants droits n’étant toujours pas d’accord avec cette décision, cette volonté n’est toujours pas respectée depuis la mort du Godfather of Soul. Pour l’anecdote, par manque de confiance dans les contrats, James Brown comme et Aretha Franklin, se faisaient payer leur concert en cash ! Pour les affaires il existe un lien, surtout au niveau des labels entre la communauté juive et la communauté noire. Au début du succès de la musique noire, la « Race music », fait peur aux blancs WASP*. A partir du moment où le succès s’amplifie avec les blancs qui achètent de la musique noire, le phénomène des arnaques commencent ! Le fameux procès de Manu Dibango contre Michael Jackson est également évoqué avec le pillage de l’air de Soul Makossa qui est plagié sur Wanna be starting something. On découvre ici la face cachée du fabuleux musicien, compositeur, chef d’orchestre et producteur Quincy Jones. Mister Q le producteur, n’est pas toujours vertueux. Si ce procès intenté par le musicien franco-camerounais à la star américaine aux Etats-Unis est connu, le second intenté par le même Manu Dibango à Rihanna en France pour la reprise du titre de Michael Jackson n’aboutira pas. Car le saxophoniste a cédé ses droits dans la transaction signée aux Etats-Unis. Il ne pourra pas avoir gain de cause pour la reprise de Wanna be starting something sur le titre de la chanteuse Dont stop the music qui contient aussi Soul Makossa.
On reste dans le funk pour la quatrième écoute avec Atomic Dog, du P-Funk collective’s de Georges Clinton. Celui-ci produit par la suite les Red Hot Chili Pepper, qui vont le plagier et le sampler en retour puis il entraine Sly Stone dans de nombreux procès. Armen Boladian producteur et avocat peut scrupuleux a réussi à récupérer les droits de Georges Clinton. Il ira jusqu’à faire quatre cent cinquante demandes d’actions en justice contre des rappers qui ont samplé Georges Clinton. Selon les Etats qui n’ont pas tous le même droit aux Etats-Unis, il en gagnera quand même plusieurs. Fabrice Epstein nous précise que ce producteur n’a aucune réputation digitale car il n’y a pas d’informations sur lui sur internet ! Cette séquence démontre aussi que James Brown et Georges Clinton sont les musiciens américains les plus samplés !
Nous passons au Hip-hop avec le cinquième extrait en écoute, il s’agit de I just wanna love U (Give It to Me) de Jay Z. On apprend qu’un procès dans ce style musical peut être différent selon les Etats au Etats-Unis, mais que c’est toujours un juge blanc face à un artiste noir. Il précise qu’il est facile de travailler sur les archives des décisions de justices aux Etats-Unis qui sont très détaillés sur en moyenne une dizaine de pages et qui sont disponibles à la consultation. Nous poursuivons sur le Hip-hop mais en France avec le groupe La Rumeur et la sixième écoute : Le coffre fort ne suivra pas le corbillard. A l’occasion de l’album L’ombre sur la mesure, le groupe sort un fanzine avec un article signé Hamé, L’insécurité sous la plume d’un barbare, qui montre que les jeunes des banlieues sont plutôt victimes qu’acteurs de l’insécurité. Le groupe est poursuivit en diffamation publique par le Ministre de l’intérieur de l’époque, Nicolas Sarkozy. Il faudra huit ans de procès, de 2002 à 2010, pour que l’auteur Hamé soit relaxé par le rejet d’un pourvoi en Cassation. Fabrice Epstein nous confie son point de vue de professionnel ; qu’un tel procès est démesuré par rapport aux faits reprochés et que les dérives de notre société face au rap français sont similaires à la société américaine face au rap US.
Le modérateur demande à l’auteur s’il envisage un roman noir, celui-ci répond que cela est possible. L’auteur indique qu’un troisième Opus est prévu pour les histoires judicaires, il concernera les femmes et la musique face à la justice. En tout cas votre honneur, après une telle conférence, j’avoue et je plaide coupable que j’ai été complètement conquis par ce thème ! Lorsque l’on entend parler de justice on imagine cela rébarbatif, alors que cet angle de vue nous précise l’histoire de nos groupes préférés, l’aspect économique du secteur musical et la personnalité de nos idoles. Cette conférence, nous révèle que les musiciens que l’on admire ne sont pas essentiellement bons ou essentiellement mauvais mais souvent entre deux. D’autant plus, qu’avec Mimi Géniale aux platines, nul n’est sensé ignorer ses standards ! C’est sur l’air de Whole lotta love en fond sonore, que nous terminons cet échange sur les histoires judiciaires musicales qui sont menées de main de Maître par l’avocat général de tous les styles de musique !
Pour aller plus loin avec les histoires judiciaires de Fabrice Epstein, ses ouvrages permettent d’approfondir les cas juridiques qui nous apprennent de nombreuses anecdotes de la vie des groupes musicaux :
- Fabrice Epstein, Rock’n’roll Justice, une histoire judiciaire du rock, Document illustré, Editeur Manufacture de livres, 320 pages, paru le 25 novembre 2021, ISBN 978-2-3588-7801-2 Format 17cmx25cm
- Fabrice Epstein, Black Music Justice, une histoire judiciaire des musiques noires, Document illustré, Editeur Manufacture de livres, 320 pages, paru le 30 novembre 2023, ISBN 978-2-3588-3022-8 Format 17cmx25cm
*: WASP : White Anglo-Saxon Prostestant