Le quintet Theorem of Joy se présente comme tourné vers les cordes, vocales, frottées, pincées ou frappées, mises en cadence par les peaux, percussions et cymbales.
Par définition, tout théorème appelle une démonstration argumentée ; ici chaque musicien contribue à établir la certitude qui en découle : rien n’est certain dans ce monde tourmenté qui est le nôtre.
Si les thèmes sont élaborés par Thomas Julienne (contrebasse), Ellinoa (voix) en écrit les paroles, en français ou en anglais. Quant au reste de l’édifice harmonique et rythmique, Robin Antunes (violons), Anthony Winzenrieth (guitare) et Tom Peyron (batterie, percussions) ont une large place pour imprimer leur patte, élargir les horizons et donner toute sa singularité à l’ensemble.
Ancrée sur une section rythmique inébranlable, la trame laisse de grands espaces à l’improvisation. Les cadences impaires succèdent aux rythmes ternaires, se jouent des sensations à l’image des rythmes africains qui oscillent entre binaire et ternaire au gré d’une pulsation ondoyant sur une base quasi invariante.
Le set démarre avec Atoll ; le thème est exposé à l’unisson par le violon et la voix, puis Ellinoa entame une improvisation lancinante qui part des graves et s’élève petit à petit dans les aigus où elle livre toute sa puissance, toujours aussi saisissante dans ce registre. Robin Antunes unit son violon à la voix pour un chorus qui se termine en sifflements et harmoniques suraigus. Magistral et surprenant pour conclure ce premier morceau inspiré par la fragilité de notre planète et l’urgence à enrayer la folie destructrice de l’humanité.
De l’autre côté du silence évoque le tourment lié aux origines complexes des individus et les métissages dont nous sommes tous issus. Le tango initial s’ouvre sur un chorus de contrebasse, mélopée lente à l’archet qui amène progressivement une transition vers les horizons désertiques de l’Afrique du Nord. Le violon excelle dans cette mouvance orientale.
Dust illustre la place positive que laisse en nous un deuil une fois accompli. Le solo d’Anthony Winzenrieth à la guitare illustre à merveille ce sentiment hésitant entre pleurs et soulagement.
Toute la violence du terrorisme nous cueille au dépourvu avec Impostor, avec un chorus voix et violon poignant sur une rythmique intense et syncopée. Le dialogue se déplace entre la voix et la contrebasse, poussant toutes les cordes dans leurs derniers retranchements.
Contemplation de l’océan depuis une falaise d’Ecosse, Forest Café ramène un peu de douceur pour un chorus de contrebasse paisible, bien installé dans les graves au tempo du ressac pour mieux s’animer au fur et à mesure que les fréquences augmentent.
Le sort de la Palestine est également source d’inspiration tragiquement prémonitoire pour Thomas Julienne, avec un morceau construit sur une clave palestinienne où la batterie est largement mise en avant, et notamment un chorus guitare-batterie puis guitare-basse-batterie qui exprime une immense souffrance.
Le set se termine sur une note plus joyeuse avec Convergence, quand mystérieusement tout s’aligne, tout se résout de manière si évidente qu’on est tenté d’en douter, puis un morceau au nom de cocktail pour une nuit de fête survoltée (ambiance disco garantie) qui se termine au petit matin fatigué avec la voix aérienne d’Ellinoa qui nous conduit de manière suave vers une nouvelle journée qui démarre.
Pour le rappel, Hope to sea you revient sur le calvaire palestinien où la simple idée d’aller voir la mer se heurte à un mur.
La démonstration du Theorem of Joy doit décidément se plier à la férocité de notre monde.