Ce disque est sorti récemment mais l’événement n’a pas été suffisamment souligné à notre goût. Cela fait aussi un moment que nous l’attendions ce nouveau disque. « Ascendances » nous a tant charmés. Par l’originalité de sa formule : non pas le trio traditionnel piano-contrebasse-batterie, mais les basses de Laurent Vernerey, les percussions de Xavier Sanchez- et la participation de la danseuse Sharon Sultan. Par ses arabesques mélodiques et ses innovations harmoniques. Nous espérions d’autres thèmes encore, de la même veine et nous n’avons pas été déçus. « Wings & Notes » est d’aussi belle facture. Nous avons comparé ces deux albums, parce qu’un air de « déjà entendu » nous a frappé tout d’abord : Oui c’est bien Alfio aux claviers (piano et Fender Rhodes) reconnaissable entre mille, absolument singulier et personnel, avec son toucher, ses mélodies, son phrasé ….une recherche harmonique qui déploie le sentiment en impressions. Dans cette recherche là, il y a continuité.
Aussi, tout a bougé. Après le repli, l’épanouissement. Le trio s’était formé et s’était bien trouvé. Jérome Regard a cette modernité du jeu qui convient à Alfio et Andy Barron cette précision élégante et ce punch « rock » qu’il mêle si bien au Jazz. Parfois les trois compères s’abandonnent avec jubilation et cela donne comme un avant goût d’apocalypse musicale. Rebonds en cascades sur la caisse claire. Comme dans un film de Herzog . (Cœur de verre par exemple) Vertige, impression de chute…et de vitalité. Le trio sur scène, était quartet en Studio (Stephane Edouard aux percussions). Le voilà quartet sur scène avec le saxophone lyrique d’Eric Prost. Eric et Alfio aussi, se sont bien trouvés.
« Alex la glisse » avait ralenti un moment son mouvement pour quelque méditation.« Sur le bord de la route » (Kipling). Impression d’éternité. De calme. Cette sérénité maintenant apaise le cœur, dans Una lacrima sul viso. Le chant populaire (Bobby Solo) se fait contemplatif.
Tractor Paradise, avec son jeu bluesy de bielles et de pistons, c’est, avec humour, l’art de réconcilier la terre et le ciel, le projet méditerranéen de marier Gaïa et Ouranos, de tracer des sillons dans les nuages. Et l’humour court grand train dans The Chemist. Ne voyez pas quelque allusion culturelle au sorcier de Romeo et Juliette, plutôt une taquinerie amicale dans la composition d’Eric. . Ne cherchez pas non plus dans la ballade de Louis Winsberg, « Madame Mo » quelque geisha raffinée ou quelque princesse exilée, même si la délicatesse et le spleen de la composition vous conduisent à cette rêverie; entendez plutôt l’hommage à quelque chanteuse à la voix pourpre. Et s’il n’y a plus beaucoup de drakkars en circulation aujourd’hui, mieux vaut en rire : il reste ce Viking boat, avec en introduction quelques mesures de percussion, (réécouter « Très Notas » pour entendre la différence) ses grelots, son chorus de saxe tout en volupté, tissant des mélismes autour du thème exposé au piano.
Et quelle belle rencontre que celle de cet autre saxophoniste et compositeur Pierre Bertrand, dans le culte partagé du Sud et de ses mélodies mauresques. East song et le rythme hiératique de ses harmonies déchirées, sait tenir en garde les blessures d’amour et laisser éclore après le saxophone, l’arabesque du plus merveilleux des chorus.
« Wings & Notes » ? Des ailes pour la création et de la musique pour voler….deux partitions, un même souffle. Dans Part one, une introduction splendide un thème épuré et un chorus de sax sur fond d’ostinato de piano, de percussion, avec les marquages profonds à la batterie et à la basse… Dans Part II, une introduction qui n’est pas sans rappeler « Danseuse » mais pour s’en aller dans la polyphonie des saxes enchevêtrés. La danseuse part en fugue et nous donne le désir de l’écriture musicale.
Une des choses les plus marquantes dans ce disque est l’art de jouer avec la temporalité, avec ses plages étranges (le temps de l’attente…), ses moments de ferveur, ses impressions de langueur et ses émotions. A creuser au fond de soi, l’homme gagne aussi en hauteur.
Lorsque j’écoute le deuxième titre, j’entends comme un chant de louange, un hymne à la création, un remerciement. Si le monde n’avait pas ses beautés, l’interprétation qu’Alfio donne de What a wonderful world serait propre à lui rendre, et faire naître le sens du merveilleux.
Auto suggestion, riez vous ? Ecoutez « Wings & Notes » pour vérifier.