01/12/2023 – Sandra N’kaké «Scars» à l’Opéra Underground

01/12/2023 – Sandra N’kaké «Scars» à l’Opéra Underground

Des cicatrices en étendard

Avec son quatrième album «Scars», l’artiste au chant magnétique se libère d’un douloureux parcours intime qu’elle surmonte en faisant force des nombreuses plaies qu’elle a eues à panser. Autant de blessures constitutives de sa personnalité insoumise, autonome et engagée, mais dont elle se délivre dans les chansons de ce disque d’amour et de résilience, portées par les mélodies assurément pop de ce répertoire croisant ballades folk et franche énergie rock. Mais avec toujours dans les nuances vocales ce grain profondément soul-gospel qui fait le charme de la flamboyante chanteuse, aux côtés du fidèle Jî Drû et d’un puissant trio rythmique.

  

Six ans après «Tangerine Moon Wishes» est paru en avril dernier «Scars»,un quatrième album pour la magnifique chanteuse Sandra Nkaké, dans la foulée d’ailleurs de «Fantômes» de son complice de toujours le flûtiste Jî Drû (voir ici) où elle posait ses vocaux sur ce fascinant conte musical qui nous a beaucoup séduit. Si elle n’a jamais caché ses engagements, ses combats, ni ses références -de Nina Simone à Abbey Lincoln, femmes noires et artistes en lutte pour leur indépendance affranchie- elle ne s’était encore jamais autant livrée personnellement, pour mieux se délivrer. Une thérapie de résilience pour faire de toutes les vives entailles qui ont jalonné un chemin douloureux une force capable de surmonter les traumas et les plaies laissées. Toutes les cicatrices (scars) qui sont constitutives de ce qu’elle est aujourd’hui et qu’elle a choisi d’exprimer, avec la flamboyance scénique qu’on lui connaît, dans une grosse douzaine de chansons souvent en français pour mieux en assumer fièrement les mots. Ils sont souvent très forts, jamais mâchés, exprimant explicitement une furieuse révolte envers un monde jugé patriarcal, normatif et violent, mots à la hauteur du combat d’une femme noire, née au Cameroun mais arrivée en France à l’adolescence, ayant connu l’exil, la violence et les pires abus sexuels…

Sur le plan musical, c’est aussi un virage avec des mélodies assurément plus pop qu’à l’accoutumée, mais avec un son (puissant et excellent ce soir, avec ce soir leur ingé Alan Le Dem aux manettes) et une énergie bien rock (voire heavy même parfois), ménageant aussi de belles ballades aux réminiscences folk. On retrouve dans le quintet qui accompagne Sandra (qui s’est dernièrement mise  aussi à la guitare) bien sûr le fidèle Jî Drû à la flûte traversière, et un trio rythmique redoutablement efficace en la matière avec Mathieu Penot à la batterie, Jérôme Perez à la guitare lead, et la jeune Mathilda Haynes que l’on découvre à la basse pour appuyer tout ça.

 

Après La Voix éraillée qui entame le set, on retrouve vite derrière la pop de Under my Skin le fameux grain soul de la chanteuse, même si les riffs du guitariste et le jeu de batterie sont de plus en plus rock. Vite chauffé, le public chaleureusement ramassé autour de la scène rentre dans le beat en clapant sur le rythme binaire et dansant de l’entraînant Rising Up, martelé pour appuyer le propos (« C’est l’histoire de toutes les femmes, avec ou sans vulve, qui survivent et avancent sans peur….Nous sommes des Résistantes à toute la merde… Nos luttes collectives sont propices à nos luttes individuelles…»). Intensité sonore à l’image du message lâché, tempérée pour «se laisser aller à la transformation et à la guérison» par une plus douce ballade, la pop légère de Night Reflection avec les vocaux des quatre musiciens en chœurs.

Mais on peut rester dans l’ambiance slowly en étant très puissant, tel sur Sisters, thème majeur de la sororité cher à l’artiste, puis sur Nos Voix et sa tournerie de guitare («Les larmes sur mes joues parlent de moi, parlent de nous»…), ou bien encore sur la tendre ballade des 3 Feuilles.

C’est toujours un excellent son aux effets d’écho vertigineux qui enrobe la superbe pop-folk plus psyché cette fois de Lose Control, touche qui perdure dans la longue intro d’obédience afro sur l’incantatoire Terre Rouge (Je n’ai rien oublié, je crie contre l’oubli… Le jour et la nuit, je crie à l’envi contre l’oubli…») saccadé par la frappe de Mathieu, tandis qu’un certain lyrisme teinte les vocalises.

L’énergie déployée redevient clairement pop-rock avec Singing Lives, où Sandra pieds nus et comme libérée d’un poids articule ou désarticule son corps à la manière d’une gymnaste. Quel regard intense et profondément impliqué quand ses grands yeux noirs ourlés d’un maquillage fluo et tribal qui en intensifie la portée vous fixent, comme dans un air de défiance et de victoire ! Intense comme la voix aux effets réverbérants qui porte le chant de résistance «contre toutes les haines» sur le très rock et hautement rythmé My Heart en fin de set.

Enflammé par cette énergie communicative et impliqué par ces confessions partagées à cœur ouvert, le public massé au plus près du chaudron bouillonnant se dressera pour mieux communier à Scars like Buffalo en rappel, suivi du sublime et de circonstance Sing with you, une pépite gospel hyper groovy livrée a capella par les cinq pupitres et qui se devait d’une telle standing ovation. Classieux tout ça.

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