C’est rare de prendre autant de plaisir à un concert, et c’est encore plus rare de découvrir un artiste qui pourtant existe déjà depuis longtemps. Mais il est vrai que la prestation scénique de l’auteur-compositeur-interprète-multi-instrumentiste israélien Asaf Avidan à Vienne ce 8 juillet restera gravée dans les annales du festival ! Quel show et quelle présence devant ces 7500 spectateurs tenus en haleine de bout en bout pendant une heure trente… La prise de risque est pourtant maximale quand un impétrant ose se présenter en solo sur une scène aussi mythique…
Mais parlons d’abord de la scénographie, car Asaf ne laisse rien au hasard. Côté cour un spot sur praticable avec les claviers de l’artiste, à jardin un coin salon cosy année 50 avec un fauteuil, un lampadaire de salon et un guéridon avec de quoi boire dessus, et au milieu le coin principal avec les guitares et les pads de percussions électroniques. Cette scénographie permet à l’artiste de varier les atmosphères et les points de vue et de se projeter dans des univers cinématographiques en diable, aidé en cela par les lumières souvent très expressionnistes. Asaf Avidan est là, seul, un homme face à la foule, et il va être tantôt déchaîné, tant mélancolique et déchiré. Il va proposer un voyage unique aux spectateurs qu’il a tôt fait d’embarquer dans ses univers personnels torturés, on a presque l’impression de faire corps avec lui, de souffrir avec lui, d’être joyeux la minute d’après… C’est un vrai auteur avec ses emballements et ses réflexions sur la musique, ses conceptions de la création (qu’il va fréquemment livrer au public durant la soirée).
Quand il arrive sur scène au début, on dirait l’Oppenheimer de Christopher Nolan, une sorte de sosie de l’acteur Cillian Murphy. Mais on songe aussi à Chaplin par certains aspects. L’environnement de son concert est d’ailleurs très cinématographique, avec des moments où les tableaux et les visuels font penser à des films noirs, du Woody Allen, de l’expressionnisme allemand, voire même du David Lynch pour l’étrangeté et l’extravagance du personnage… À partir du troisième morceau il est sur le spot du milieu et triture l’harmonica et la guitare, on est entre Bob Dylan et Janis Joplin, dans une ambiance folk-western, nous sommes transportés par sa voix si haut perchée, si écorchée, mais tellement vivante et émouvante. Asaf parle de sa conception de la musique sur scène et du concert pour le public qui ne doit pas juste s’extraire du réel, mais invite également à l’introspection. Puis, il va se servir à boire à son bar-guéridon et livre sa théorie personnelle de la « Method Musicien », à l’instar de « l’Actor studio » qu’il imite et moque via Brando et Daniel Day-Lewis ; la sienne, c’est une méthode « with many drinks » qu’il propose et qui a de quoi séduire…Asaf captive le public par sa voix, sa vitalité, mais aussi par l’émotion qu’il délivre. Pour le septième morceau, on a l’impression d’entendre Robert Plant et Jimmy Page dans un morceau folk du Zep… Il propose ensuite des morceaux avec des percussions électroniques pour s’accompagner, il est vrai que les loopers et les boucles sont sur scène les meilleurs amis du chanteur, et qu’il dispose d’un arsenal de pédales d’effets. Mais il sait manier aussi les claviers que les guitares et se laisse même aller parfois à des chorus qui oscillent entre la slide guitare et le jeu hendrixien…Il s’en va ensuite se poser dans son fauteuil de salon pour interpréter son tube planétaire Reckoning song dans une sublime version qui met en transe le public : il exulte dès les premiers accords, chante le morceau, tape dans ses mains… La communion est totale entre la scène et le Théâtre antique, et Asaf termine son show dans l’espace « piano » avec un morceau composé très récemment, qu’il annonce comme difficile, mais comme c’est de la musique live, il faut en accepter les erreurs et les imperfections… Dixit l’artiste, qui semble s’exonérer d’une quelconque faille qui n’arrivera pourtant jamais. C’est vraiment un musicien et chanteur qui se révèle essentiellement sur scène, même s’il dispose d’une solide discographie avec son premier groupe, The Mojos, puis depuis 2011 en solitaire. C’est une bête de scène à voir absolument pour comprendre et entendre la générosité et l’engagement qu’un musicien peut donner durant un concert… Ce soir, c’était un moment de bonheur musical et scénique suspendu d’une beauté assez inouïe ; on était certes loin du jazz, mais dans un registre encore bien plus universel. Un moment puissant, émotionnellement qui a permis de rassembler toute la jauge du Théâtre antique autour de cette personnalité artistique atypique de quarante-quatre ans, qui n’a pour sûr pas fini de nous étonner…