Monastère de feu
Nouvelle sensation de la scène blues british, le quartet londonien au look vintage puise dans l’héritage des grands labels américains des mythiques années 60-70 pour barder leurs chansons, toujours très mélodiques et aux harmonies vocales imparables, du meilleur de la soul et du R&B. Le tout dans l’esprit pop de groupes anglais du swinging London comme les Beatles, mais avec l’énergie et la puissance du rock’n’roll. Bonne pioche pour ces quatre garçons dans le van !
Depuis de nombreuses années maintenant, le festival A la Folie…Pas du Tout proposé sur juillet-août par la Ville de Bourg-en-Bresse dans le cadre idyllique du cloître du Monastère Royal de Brou, nous épate et nous séduit par la qualité d’une programmation très éclectique et toujours bien vue. Quel que soit le genre présenté, on a visiblement bon goût ici, et le jazz-groove semble y avoir trouvé une place de choix, avec notamment ces deux dernières années nos amis des Buttshakers puis des Lehmann Brothers l’été passé. Pour cette nouvelle saison estivale, et avant de courir entendre les rares Frères Smith (fameux collectif belge de onze pupitres dévolu au funk et au soul-jazz programmé le 17 août prochain), c’est encore d’autres «brothers» cette fois d’outre-Manche que nous avons pu découvrir avec bonheur samedi dernier, avec le quartet londonien The Cinelli Brothers, nouvelle sensation de la scène blues british.
Mais s’ils ont déjà remporté en peu de temps le UK Blues Challenge en 2022, avant de s’envoler pour l’IBC de Memphis puis de triompher encore à l’European Blues Challenge, l’étiquette blues est à élargir pour ces quatre multi-instrumentistes imprégnés aussi de l’héritage des labels mythiques Chess, Stax ou Motown, tant leur blues est fortement teinté de R&B et de soul. Le tout délivré comme ce soir en live dans un esprit pop 60′-70’s, mais avec l’énergie et le gros son du rock’n’roll.
Explosif cocktail pour les vrais frangins italiens Marco Cinelli (chant lead, claviers, harmonica et guitare…) et Alessandro Cinelli (batterie, percussions, basse…), acoquinés avec le bassiste d’origine française Stéphane Giry (par ailleurs fantastique guitariste, et aussi chanteur) et ce soir en lead guitare -remplaçant visiblement le titulaire Tom Julian-Jones-, l’excellent Joe Anderton et son look époque Swinging London.
Du swinging London à la southern-soul
Avec leur déjà quatrième album « Almost exactly » paru en début d’année, Marco (principal compositeur et producteur) s’est associé pour la première fois au célèbre batteur et producteur Rich Pagano (Patti Smith, Robbie Robertson…) lui-même formé par les légendaires ingés-son des Beatles, Emerick et Scott. Nombre de ces nouvelles chansons en co-écriture sont d’ailleurs inspirées par des groupes comme les Beatles, The Band ou The Rascals, avec pour l’énergie comme pour les mélodies, une forte dose de southern-soul des mythiques années 60-70.
Dès l’intro encore en extérieur jour, devant un parterre remplissant l’intégralité du cloître royal, le groove R&B de Don’t Need No Favor nous alpague. Marco au clavier Nord simulant l’Hammond B3 dévoile la sensualité de son timbre haut perché, tandis que son frère frappe à la fois la batterie d’une baguette et les congas de son autre main. On sent déjà l’aisance et l’agilité qu’on va connaître au fil du répertoire où les quatre vont souvent s’interchanger leurs instruments. Mais aussi la voix lead, comme Make you Mine envoyé par un gros riff de Joe Anderton également au micro, totalement rock’n roll, avec en soutien la seconde guitare tout aussi bien tenue par le bassiste au gré du show. Au premier rang où je suis, ça décoiffe côté son, par ailleurs nickel malgré le volume !
Cette fois, c’est bien du blues, avec Save Me asséné sur un beat lourd, un vieux blues salace où Marco au chant tient guitare et harmonica. Parlant très bien français, il nous explique qu’il aime ce qu’il nomme « le blues moins le quart », pour introduire le plus dansant Ain’t Blue but I Sigh, « avec du sang latin dedans », tiré de ce dernier opus enregistré à Woodstock au légendaire Applehead Recording Studio. Comme aussi Lucky Star où le public est appelé à claquer des doigts pour accompagner son balancement bien sixties.
Pour I wish I knew how it feel to be, résolument gospel cette fois, la magie du cadre monacal est idéale pour enserrer les quatre voix reprenant ce titre de Nina Simone servi sur un gros à-plat d’orgue.
Autre reprise bien à-propos, Just Dropped In du bon Kenny Rodgers ressuscite cette intemporelle rythmique soul des seventies nimbée d’afro comme ici avec les congas. Là, ça commence à donner très sérieusement l’envie de se lâcher, mais ça ne semble toujours pas prévu par le public sagement vissé aux chaises, malgré les rafales de B3 et les riffs acérés d’Anderton dignes de la Royal Air Force.
Il faudra bien une Last Cigarette, langoureuse ballade bluesy pour s’en remettre, avant que ne résonne sous les arches joliment éclairées par cette nuit étoilée, un « chaleureux » cri d’amour avec l’éternel I want You des Beatles, mais en version sous-titrée (She’s so heavy) par les hot Cinelli Brothers. La nostalgie fonctionne (a fortiori avec un public majoritairement composé -comme partout d’ailleurs- de retraités..), comme pour le rock d’esprit sixties de Shimmy Shimmy. Parfait pour faire monter encore la température -et le son !- notamment avec un gros solo de Stéphane Giry à la guitare sur Nobody’s Fools avant de maintenir la pression pour Leave it with You.
Sentant la fin venir, le public s’autorise enfin à la communion en se levant pour danser sur le boogie-blues endiablé de Choo Ma Gum, entretenant le brasier de So Far so Good qui précède un final de folie sur le bouillonnant Mama Don’t like You. L’ambiance est alors à son comble côté public, qui sera récompensé par deux bonus en rappels, d’abord le très soul-funk Break on through on the Other, puis Oh Well résolument R&B comme le fut l’entame de ce concert enflammé.