Il y a une foule de raisons de se rendre à un concert et de quitter ainsi, pour les plus frileux, le cocon dominical. Comme il y avait beaucoup de monde au Solar dimanche après-midi, chacun devait avoir les siennes.
Pour ma part, ce sont trois mots inscrits sur la plaquette qui m’ont soustrait à ma paresse. Le premier, c’est jeunesse. Le second, c’est hommage. Le troisième, c’est contrebasse. Je ne sais pas pourquoi, mais les trois liés m’ont fait envisager un truc pas commun.
Et ce fut un moment rare. Pour mieux comprendre, il faut remonter un peu en arrière. L’histoire? C’est celle de David Ostromooukhov, né à Paris en 1987 et fauché en 2011 par une pernicieuse tumeur. Sa vie ? Des aller-retours entre la France, la Suisse, les States puis Québec. Sa passion ? Jouer en famille, dès l’âge de cinq ans, de la basse électrique et notamment avec son frère, partager ensuite son temps entre Socrate à la Sorbonne et diaboliques soirées jazz, partout et à la contrebasse. Un de ses groupes ? Les Fabulistes. Les faits sont tellement implacables, assénés ainsi. Que faire de la mémoire, de ce qui reste de chaleur, de sons, d’humaine et de jeune condition ?
Sa mère, Sylvie Fresco, présente ce 24 novembre au Solar, a choisi de faire taire le chant du cygne. Avec l’association « Les Nouveaux Fabulistes », dont elle est la présidente, elle a créé en 2019 un concours musical biennal, non pas « pour commémorer la perte de son fils mais pour rendre son souvenir vivant et créatif, pour que la musique soit lumière et source de vie ». Ce concours dont la première édition eut lieu en 2022, s’adresse aux jeunes contrebassistes francophones de jazz et a pour parrain prestigieux Avishai Cohen. La seconde édition, dont le prix a été remis en mars dernier au Hot-Club de Lyon, a révélé le talent de Simon Torunczyk.
C’est donc lui, tout neuf lauréat de vingt-deux ans, qui est venu, avec son quartet, culbuter d’émoi la scène stéphanoise. Ah oui, elle est bien belle, cette satanée jeunesse, pourvoyeuse de timbres revisités, de mélodies au langage renouvelé, libre-échangiste d’influences diverses. Tout cela a commencé rondement. Je devrais plutôt dire carrément, la scène prenant subitement corps sous l’effet d’une rythmique impeccable. Il est si bon -et trop rare- d’entendre la contrebasse fourrager en ses tripes, s’offrir à l’écoute sans pudeur, assurer solo, s’assumer leader. Là, on a été gâté. Mais il faut dire que le jeune parisien, qui joue depuis 2022 avec l’Orchestre Philharmonique de Radio France, (rien que ça), était bien entouré. La plupart du temps, sa rythmique s’accordait de concert avec la batterie de Paul Lefèvre. Le duo jouait en écho comme on place d’habiles dominos, fastoche. A l’opposé du plateau, le sax ténor Jérémie Lucchese et Thomas Gaucher à la guitare électrique n’étaient pas en reste. Le saxophone semblait pêcher un souffle intime, dans les abîmes de l’instrument, pour en en offrir des notes en confidences, tandis que la guitare alternait riffs éclatants et inflexions sonores colorées. Ces Fab Four d’un nouveau genre et tous issus du Conservatoire de Paris ont interprété des compos singulières, piochées dans un jazz moderne aux émotions multiples, telles Duality. Ils ont aussi fait mouche et swing avec des standards comme Softly, As in a Morning Sunrise.
Une belle idée que ce concours, une belle vie qui continue, un bien beau moment d’amour et de partage… (Association Les Nouveaux Fabulistes, basée à Caluire-et-Cuire. Email: contact@prixdavid-o.fr)