Sélection CD. Spéciale Blues. Février 25

Sélection CD. Spéciale Blues. Février 25

Du blues qui février…

De très bonnes nouvelles de Nico Wayne Toussaint qui nous envoie une carte postale amoureuse de Clarksdale et, plus près de nous, des redoutables Supersoul Brothers palois dont le cœur et l’esprit sont aussi ancrés dans le Sud américain où ils puisent leur groove puissant. Même source encore pour le power trio charentais Winter Blues Band, qui mixe son blues aux effluves celtiques pour le servir comme du métal en fusion, sur un premier album autoproduit mais très costaud où divers invités de renom sont conviés. Enfin c’est l’occasion, parmi ces nouveautés, de rappeler le double album majeur de Bernard Allison paru à l’automne, et qui honore l’héritage paternel du grand Luther.

 

NICO WAYNE TOUSSAINT «From Clarksdale with Love» (NWT / Inouïe Distribution)

Aller là où ça se passe, notamment à Memphis, carrefour des musiques noires américaines, et puis surtout à Clarksdale, sorte de ville fantôme soixante miles plus au sud, sur la route de la Louisiane et de la Nouvelle-Orléans. C’est ici que l’on retrouve Nico Wayne Toussaint qui, arrivé à la soixantaine, a choisi d’y vivre une retraite studieuse, à la fois musicale et spirituelle, dans un house boat en tôles et planches, posé sur une petite route agricole face à l’océan opalin. Là où le chanteur avec ses guitares et harmonicas s’est attelé à travailler « in situ » le répertoire des légendes du Mississippi qui ont nourri ce Toulonnais, fils de pianiste, depuis son adolescence. Les clubs de la ville comme les trottoirs de la Nouvelle-Orléans sont vite devenus ses aires de jeu favorites où il a multiplié les rencontres, retrouvé un élan d’inspiration avant d’écrire ces nouvelles chansons et façonner le son qui va avec. Ce fameux son « juke joint » de Clarksdale qu’il souhaitait donner à ce répertoire de douze titres originaux, faisant appel aux cuivres de son big-band au complet, soit tous les musiciens avec lesquels il avait produit en 2017 l’hommage à son idole James Cotton.

Alliant la pulsion rythmique des clubs du Mississippi à la dynamique des riffs cuivrés made in Memphis, ce « From Clarksdale with love », s’il nous est envoyé de là-bas comme une carte postale amoureuse, a pourtant été ramené pour être produit en France avec son équipe hexagonale, Romain Gratalou à la batterie, Rémi Grangé à la basse, Michel Foizon à la guitare, Jean-Pierre Legout au piano, Cyril Dumeaux au sax ténor, Sébastien Iep Arruti au trombone, et le trompettiste Pascal Drapeau qui signe les arrangements de la section cuivres.

Pour ouvrir les festivités, le bien nommé Memphis est une courte virgule où l’on a d’emblée plaisir à retrouver le chant et l’harmonica de Nico. Une voix nickel sur la grille très standard de Wanna try Somebody, boogie-blues avec une belle guitare en long solo avant que les cuivres imposent le swing. Si Valentine et son rythme assené dès l’entame avec harmo et tambourin se pare d’un refrain qui a, lui aussi, tout d’un classique, on aime beaucoup le blues du bonhomme quand il se fait plus nonchalant, tel ce Mr Bartender où l’on jurerait presque entendre la voix du séducteur Gino Vannelli, même grain, même vibrato. Une voix salace qui nous prend aussi par l’obsédante tournerie de guitare sur Jesse James, autre pépite au tempo carré. Avec Greyhound qui suit, on poursuit la route en s’enfonçant dans le Sud profond, au son d’une guitare à la mystique plus hendrixienne.

La voix de Nico Wayne Toussaint est très adéquate sur le blue-rock Annie, grave et hypnotique, quelque part cette fois entre Jim Morrison des Doors et surtout Billy Idol qu’il rappelle beaucoup face à la belle résonance de la guitare.

Autant de titres qui se distinguent des plus convenus Make it Count, boogie-blues très classique, ou I was Wrong, R&B si typique qu’il a tout d’un standard recyclé. Ceux qui aiment le fameux  Everybody neads somebody des Blues Brothers comme les soul bands de cette époque où les souffleurs défilent en chorus ronflants sur fond d’Hammond B3, trouveront leur compte pour danser en ligne sur Let the boys have a go. Ceux qui préfèrent l’intimisme d’un vieux blues du Mississippi façon John Lee Hooker, avec seulement une voix en talk-over et une guitare, adoreront Every Town qui clôture dans la profondeur et l’apaisement ce quinzième album de NWT (la plupart des précédents étaient chez Dixiefrog) sur bientôt trois décennies d’une carrière jalonnée des plus prestigieux prix en matière de blues. Cette invitation, fort réussie, à nous faire vadrouiller avec lui in situ, pourrait bien lui en valoir encore un, et ce serait toujours autant mérité.

 

THE SUPERSOUL BROTHERS «By The Way» (Dixiefrog Records / PIAS)

Après avoir salué ici leur « Shadows & Light » en 2021 puis il y a pile deux ans « The Road to Sound Live » paru dans la Live Series * du label Dixiefrog, les Palois qui ont brillé à l’International Blues Challenge de Memphis en 2024 nous reviennent aujourd’hui avec les douze nouvelles compos de « By the Way » (dont une reprise), confirmant leur assise incontournable au rayon soul-rock et Nola funk. Dix ans après leur formation dans la cité bayrouiste, les Supersoul Brothers se sont non seulement imposés comme l’un des groupes les plus respectés du grand Sud-Ouest, mais plus largement dans tout l’Hexagone et jusqu’au Sud des Etats-Unis cette fois, fief de leur inspiration à l’instar d’un Nico Wayne Toussaint précité.

Avec ce dernier opus studio, la bande du charismatique chanteur et impressionnant frontman David Noël (Nono) atteint une maturité remarquable en s’essayant à des expériences nettement funky côté musique, tout en travaillant des textes qui explorent des thèmes plus introspectifs, notamment au regard du temps qui passe, en soulignant l’importance du chemin de vie à prendre. C’est particulièrement le cas avec le titre éponyme By the Way dont on peut voir un clip très léché sur Youtube (voir ici), à l’image de ces généreux dandys du blue-soul made in France.

« Nous vivons tous sur cette Terre en passant, alors faisons de ce court passage un chemin fleuri. Souvent nos parcours personnels nous amènent à nous perdre, mais il y a cette voix intérieure qui vient vous murmurer que le changement commence avant tout par vous. » explique le sympathique leader de ce band de «brothers» (comptant aussi une sister…) très soudé et surtout authentique dans sa démarche.

Pas de temps à perdre donc, comme dès l’intro avec Toy Party Time qui rentre direct dans le vif du sujet et où tout est là, de la voix de Nono agrémentée des chœurs de la très solide Claire Rousselot-Paillez, au son qui claque entre tempo de basse (Ludovic Timoteo) et batterie (Olivier Pelfigues), riff de guitare de Pierre-Antoine Dumora, section cuivres avec le trombone de Julien Suhubiette escorté ici de la trompette de Ludovic Schmidt et des sax Jean-Baptiste Gaschard (baryton) et Maëlys Baey (ténor) en additionnels, enrobés d’un fond d’orgue avant un solo de piano du claviériste Julien Stantau. Un titre avec au cœur de belles variations comme ce développement très jazz-groove précédant un final plus rock. On ne soufflera pas non plus pour l’explicite Gimme some Soul  où les jambes sont automatiquement sollicitées par un groove effréné, ni avec le nerveux Time is Right, du R&B dont le refrain lorgne plutôt vers la pop des 90’s. On peut même remonter aux eighties avec le tubesque Heart Made of Stone de Sly& Robbie, seul emprunt de l’opus, qui croise une rythmique assenée dans l’esprit des Clash et une voix proche de Joe Cocker.

Le touchant Father permet enfin de souffler un peu avec ce slow aux notes de piano vaporeuses, une sorte de valse lente matinée de R&B parmi nos titres préférés et où « Feelgood Dave » une fois encore déchire tout.

L’accalmie est de courte durée, et c’est reparti pied au plancher avec le très Brownien (façon James) Where are you?, frénétique et décoiffant, envoyé avec une rage punky.

Passée la jolie mélodie conjointe du sax et du piano sur la soul pop-rock de Snow Day in the World, Play it like a Sister permet à ladite sister Claire -parmi cette très mâle assemblée de brothers- de prendre le lead au chant dans un joyeux esprit soul-gospel d’époque, quelque part entre Stevie Wonder et les Jackson Five.

Tout est dit  et ça suffit avec Yeah! Yeah! Yeah! où le trombone mène la danse sur une rythmique très carrée, un titre qui vous laissera sur les rotules en rappelant l’esprit des tauliers Blues Brothers.

Un autre slow qui tue, quelque part cette fois entre Otis Redding et Ray Charles, nous fait chalouper en collé-serré sensuel au son de One More Day, où l’on ressent intensément l’engagement viscéral du chanteur. Avant de conclure le parcours par un retour de groove pour Changing The People et sa ligne de basse plus funky. Un titre sous-titré take my hand, et où l’on n’aura aucun mal à prendre cette main tendue qui nous invite à rejoindre le dance-floor pour groover en communion avec les bien nommés Supersoul Brothers qu’on ne désespère pas voir enfin en live par chez nous…

 

WINTER BLUES BAND «Tale of a lone lil’ boy» (Autoproduction, Inouïe Distribution)

Pour un premier album riche de quinze compos originales rodées durant deux ans sur scène, voilà une prometteuse découverte en provenance de Charente-Maritime. Winter Blues Band est un power trio vibrant d’énergie, emmené par le chanteur et guitariste Quentin Winter. Avec Cyril Babin à la basse et Sébastien Jonckheere à la batterie, le nounours barbu et tatoué, chapeau et lunettes noires, fusionne dans une alliance au cordeau les teintes envoûtantes du blues aux pulsations rythmiques du rock le plus carré. Un univers organique et atypique qui explore au passage aussi bien les traditions françaises qu’irlandaises (Winter a longtemps joué de la musique celtique avec l’une de ses guitares, une douze cordes accordée en DADGAD), que le métal (et ça s’entend !) ou même la world-music.

«A dix-sept ans, j’ai découvert par hasard un morceau de Rich Walikis, puis surtout Stevie Ray Vaughan qui m’ont tous les deux profondément marqué. Je me suis alors passionné pour le blues-rock et ça a clairement bouleversé ma vie» explique le leader qui, avec ses autres guitares jouées en slide au bottleneck, avoue aussi une influence et son admiration pour la technique de son homonyme, un certain Johnny Winter…

Power trio donc, mais qui s’est paré en studio de plusieurs invités efficaces au gré des titres, comme Mat le Rouge au sax, Léo Danais aux percussions, Mathias Guerry au violon, Michaal Benjelloun à la slide guitare, Alexy Sertillange au chant pour un titre, et surtout le réputé Mathieu Debordes au Fender Rhodes et Hammond B3 sur un tiers de cet album autoproduit, capté en Seine-et-Marne et mixé en Picardie par Michel Taitinger(…son).

Le gras du rock suinte dès Tumblin’ Down en intro, une bien nommée Furiosa suivant, où c’est clair que ça dépote avec une voix râpeuse et rageuse, et bien sûr une guitare acérée comme du métal. La rythmique basse-batterie fait bien balancer le blues de The Weight of Things, avec un beau solo de guitare, avant que Lazy Blue Line retrouve un tempo assené dans une tournerie hoquetante, sur fond de voix trafiquée et métallique pour le chanteur au rire sardonique. On dirait du Cohen livré à la sauce Superdownhome !

Une voix qui harangue pour All the Way, où la guitare grand champ ouvre des espaces sonores à la ZZ Top, du blues rock péchu qui pousse.

Love Is est décliné en deux parties, d’abord Disconnection qu’on préfère, intro speedée avant que le groove dérive vers le R&B avec un superbe solo de sax de Mat le Rouge, bien envoyé sur une descente d’orgue, et où les percussions alimentent la frénésie enivrante de cette partie très puissante. La seconde I’m on the Road, toujours bien speed, pratique un boogie -rock certes énervé et nickel propre, mais plus classique. On y notera quand même une belle battle entre le guitariste et le drummer.

Si Lil’ Boy n’est pas très heureux avec son ambiance lourde, il traduit visiblement l’adolescence du chanteur qui semble avoir connu harcèlement, humiliation et violence, ceci expliquant évidemment cela (une photo du garçonnet joufflu à lunettes accompagne d’ailleurs le texte du livret…). Un p’tit gars qui a su prendre sa revanche, aujourd’hui méconnaissable dans son look de gros dur (mais au cœur tendre) qui envoie fougueusement son rock métalleux de guitariste comme sur le libératoire Small Week-End.

Le sombre et lourd, c’est encore Leave my Dreams, plaintif et saccadé, bien comme ce blues des chants de coton où la complainte dans les voix est celle du gospel.

On aime particulièrement See the Life on the Bright Side et son groove poisseux, entre la basse claquante de Babin qui fait un beau tricot en solo au cœur du morceau et les claviers de Debordes qui porte là bien son nom, mais aussi la guitare ici dans une esthétique hendrixienne.

Mathias Guerry vient poser son violon sur le piano bastringue d’I Remember, boogie blue-rock standard, net et sans bavure, avant Underwater, un rock sombre, guère plaisant et qu’on passera, pour finir ce copieux album par un attendrissant guitare-voix dédié à sa fille Lulu.

 

BERNARD ALLISON «Luther’s Blues» (Ruf Records)

Longtemps parisien avant de s’installer à Minneapolis comme un retour à ses origines, Bernard Allison a connu un long break jusqu’à «Highs & Lows», son quinzième album paru en 2022 et qui a permis à ce grand guitariste et chanteur, figure éminente du blues, de renouer avec la scène. Des hauts et des bas, des joies mais aussi des défis à mener, voilà ce qui résume le parcours tenace d’un musicien qui a dû et su se faire un prénom, notamment en Europe, pour s’affirmer et se distinguer de son célèbre père Luther Allison, l’éminent chef d’orchestre de Chicago avec lequel il a travaillé avant d’entamer sa propre carrière au virage des années 90.

Avec ses longues dreadlocks sous sa gapette noire et ses éternelles santiags, Bernard Allison émancipé du poids tutélaire n’en oublie pas cependant de rendre hommage à son illustre paternel, perpétuant la tradition familiale d’un blues originel qu’il teinte allégrement de funk et de soul, et livre avec l’énergie d’un rock débridé, incarnant à merveille la fusion des racines traditionnelles avec une approche électrique très contemporaine. Comme on a pu le vivre en live en octobre au dernier Rhino où, sortant pourtant tout juste d’un Covid qui lui avait fait annuler deux dates de sa tournée, il nous a tout donné à fond durant deux heures d’offrande généreuse et sincère.

On retrouve donc avec joie ce vaste programme filial qui démultiplie la transmission de son précieux héritage dans un double album, tout naturellement baptisé « Luther’s Blues », paru sur le célèbre label allemand Ruf Records. Remontant jusqu’en 1990 avec Help (tiré de l’album bien nommé The Next Generation) et parcourant une vaste discographie publiée dans les nighties puis au fil des années 2000, jusqu’à 2018 avec notamment You’re gonna need me et en final Castle, deux titres issus de l’album «Let it Go» (et toujours produit par le redoutable Jim Gaines), voilà une somme de vingt morceaux qui compile parfaitement ce que l’on doit à la fois au père, mais aussi au fils, dans le cheminement du blues éternel.

(*) : à propos de la Live Series de Dixiefrog, je recommande également aux amateurs de belles guitares du blues le double « Live in Paris » de l’incontournable Fred Chapellier, lui qui figure comme éminent sideman sur tant d’enregistrements publics des stars du genre. Capté sur la scène du Jazz Club Etoile, haut lieu de la capitale, il y est entouré d’une section cuivres arrangée par Michel Gaucher, pour faire sonner la soul et le R&B qui suintent dans son blues chaloupé.

 

Mais encore…

Autre guitariste injustement moins connu et pourtant emblématique du blues-rock pop français, Rod Barthet publie ce jour «Le Phare des Infortunes» où sa voix porte pour la seconde fois les mots écorchés de Joseph d’Anvers. Des histoires intimes transformées en road-trip, autant de virées électrisées par le redoutable gratteux qui d’ailleurs a convié de bons potes dans son voyage, dont justement l’inévitable Fred Chapellier, mais aussi Neal Black et Eric Sauviat. Tout est dit !

Enfin on profite du moment pour signaler la sortie ce 7 février de «Mojo Girl», le nouvel album du Rose Betty Klub. La pin-up gouailleuse Marie Nosma (aka Rose Betty) et son acolyte guitariste le compositeur Jo Mustang, toujours inspirés du jazz, du R&B et du rock des fifties, poussent le curseur de la soul sur ce quatrième opus livré en sextet. Comme d’hab, un tourbillon un brin déjanté de tout cela, aussi joyeux que vivifiant.

 

 

Auteur / autrice