Pour ce concert hommage à Michel Petrucciani, pas moins de trois pianistes se sont donné rendez-vous pour arriver à couvrir toute la palette de son jeu : Franck Avitabile, Laurent Coulondre et Jacky Terrasson. Ils sont entourés d’artistes de renom : Géraldine Laurent au sax alto, Flavio Boltro et Andrea Motis à la trompette, Pierre Boussaguet à la contrebasse, André Ceccarelli et Aldo Romano à la batterie. Presque tous ont joué à un moment ou à un autre avec Michel Petrucciani. Sur scène, la formation est à géométrie variable : soliste, duo, trio, sextet.
C’est à Franck Avitabile que revient le privilège de démarrer ce concert, en solo comme il se doit. On retrouve à le regarder quelques positions de mains et de doigts qui sont peut-être le secret de l’approche percussive si caractéristiques de Michel Petrucciani. Avec quelques figures de style bien senties, l’esprit du jeu est là : unissons à deux mains, improvisations à la main gauche et rythmes décalés sont bien présents. Il est ensuite rejoint par Géraldine Laurent pour I hear a Rhapsody ; Géraldine nous surprend par un chorus inventif et vigoureux, prenant quelques distances avec la grille et les gammes du plus bel effet.
Le duo laisse la place à Laurent Coulondre aux commandes du B3, André Ceccarelli aux baguettes et Fabio Boltro à la trompette. Manhattan n’a qu’à bien se tenir. La vélocité est de mise, la trompette est prolixe, la batterie swing, on nage dans le bop. Les esprits se calment avec Rachid, ballade brillamment introduit au clavier, et qui voit l’arrivée d’Andrea Motis, trompettiste barcelonnaise qui pose délicatement le thème sur les nappes du B3 et les balais du batteur. Petit à petit, la cadence s’affirme, et finit par doubler en 5 temps ; ce décalage apporte un éclairage nouveau, fort opportunément mis en valeur dans le chorus de trompette.
Il est temps d’accueillir le trio piano-basse-batterie, formation que Michel Petrucciani appréciait tout particulièrement, tout comme les rythmes latins tels que Looking up revigorant qui réchauffe l’atmosphère, et on en a bien besoin météorologiquement parlant. Jacky Terrasson entame un chorus touffu posé sur piliers en « accord massif », émaillé de citations parmi lesquelles on peut reconnaître la Poinciana. Géraldine Laurent et Andrea Motis rejoignent le trio pour un Hommage à Enelram Atsenig où la rythmique fait merveille. Les chorus filent à la vitesse de l’éclair, les notes roulent comme le tonnerre, on reconnaît au passage quelques clins d’œil à Monk. Jacky Terrasson conclut cette séquence par Here’s that Rainy Day de circonstance en solo.
Après September Second interprété en quartet, Aldo Romano prend la parole pour résumer en quelques mots sa relation avec Michel Petrucciani, de la rencontre « initiatique » à la fin dans les circonstances que l’on sait en passant par les quelques années intensément partagées avant son départ pour les Etats Unis. On sent que cette séparation a été un déchirement. Il en profite pour égratigner au passage les pratiques typiquement américaines en matière de business dans le milieu musical. C’est chargé d’émotion nostalgique qu’Aldo Romano rejoint la batterie pour Body and Soul. Les réflexes sont toujours là malgré l’âge, et les baguettes filent gentiment sur les peaux et les cymbales.
Second moment d’émotion de la soirée : Tony Petrucciani prononce quelques mots sur sa relation musicale avec son fils, puis prend le piano pour interpréter un morceau d’Eroll Garner que Michel affectionnait particulièrement, puis la guitare pour un autre titre de circonstance : Nuages de Django Reinhardt. Franck Avitabile l’accompagne enfin pour Someday my Prince will come tout en subtilité.
Training réunit sur scène piano, trompettes, saxo et section rythmique, avant un final au grand complet pour Brazilian Like.
Les impératifs horaires nous ont privés d’un rappel pour trois claviers qui promettait pourtant une belle cerise sur le gâteau, pour clôturer cette soirée de vrai jazz de très haut vol.