En avant-propos, Cécile Jacquemont remercie chaleureusement le public venu demi-nombreux et l’invite à déguster comme il se doit ce premier concert de l’auditorium depuis bien (trop) longtemps ; la salle va enfin reprendre vie au son des musiques et des applaudissements. Claire Antonini et Renaud Garcia-Fons ne manquent pas d’exprimer toute la joie qu’ils éprouvent à se plonger à nouveau dans l' »ivresse du présentiel » dont ils vont apprécier chaque seconde à sa juste valeur. A quelque chose, malheur est bon, et nous allons vite constater que l’un comme l’autre ont mis à profit ces périodes d’isolement forcé pour peaufiner leur technique et repousser toujours plus loin la frontière des possibles sur leurs instruments respectifs.
Le concert est une succession de petites suites de deux morceaux issus du répertoire de l’album « Farangi », voyage entre l’orient et le baroque, entre compositions « maison » et thèmes anciens ; on entre tout de suite dans le vif du sujet avec l’Air du sansonnet, large préambule à la contrebasse solo d’une légèreté qui surprend même les plus coutumiers du jeu de Renaud Garcia-Fons, suivi de Noce alla Turca, fantaisie baroque sur un rythme traditionnel turc à 9 temps. Vient ensuite une excursion entre l’Iran avec Comme un derviche amoureux et la cour du roi Louis XIII avec Chacone, menuet que l’on imagine dansé sous l’œil vigilant des trois mousquetaires. C’est au pas des chameaux que Reng-é Shotor évoque les rythmes kurdes pour une transition tout en douceur vers Capona, qui est l’occasion d’improvisations prolixes des deux instrumentistes, aux airs de Boléro de qui vous savez. Faisant la part belle à la dextérité de Claire Antonini qui fait vibrer son théorbe dans les moindres recoins de sa tessiture, Toledo del Greco tire son inspiration d’un tableau du Greco ; il est suivi par Sfesseina, sur fond d’ostinato inventif agrémenté de contrepoints mélodiques répondant judicieusement aux envolées du chorus de théorbe. Le concert se termine par Sylvains d’Orient, qui semblent voleter joyeusement autour de la scène ; quoi de mieux qu’une double descente quasi-chromatique en harmoniques sur deux cordes pour illustrer l’impertinence des ces êtres invisibles ? De quoi couper le souffle aux mélomanes les plus éclairés.
Pour le rappel, le duo reprend Entra las Rosas, tiré de l’album « Paseo a Dos » enregistré avec le pianiste espagnol Dorantès. Ceux qui connaissent le thème ont pu noter une variation en mode mineur qui lui donne un éclairage inattendu. Turkish Mood clôt définitivement le débat ; ce morceau a été travaillé la veille avec l’atelier de musiques traditionnelles et à danser des Balkans du conservatoire de Villefranche sur Saône.
Il est temps de laisser la place pour une deuxième séance, pour un public aussi demi-nombreux que pour la première. Il ne reste plus qu’à mettre sous cloche et en bonne place le masque qui s’est sans nul doute imprégné des vibrations portées par l’air respiré pendant ce concert.