Depuis quinze jours maintenant, un joli CD au quotidien nous accompagne. Et nous devons avouer que, dans une période troublée par les turbulences d’une actualité stupide ou les agitations bien conventionnelles des fêtes de fin d’année, nous avons trouvé un plaisir serein à écouter ce disque équilibré (deux médium, cinq tempos vifs, deux ballades, une bossa), modeste mais rempli non pas de tonitruantes mais d’heureuses et très diverses surprises . La prise de son est soignée, le grain, le toucher des mains sur les peaux, sur les cordes, la vibration des instruments acoustiques et électriques, tout est là pour donner le sentiment et le goût du « live », et c’est encore, jusqu’à preuve du contraire, cela qui est encore préférable dans la musique de jazz.
Le Assaï Jazz Trio- Alexis Requet aux saxophones alto et soprano, Stéphane Rivero à la contrebasse, Matthieu Garreau à la batterie, expérimente et joue depuis suffisamment longtemps pour s’être donné un matériau d’une grand richesse de compositions, d’atmosphères, de tempi divers. Au point qu’à germé l’idée d’inviter pour ce nouveau CD un pianiste de renommée, afin d’accroître un peu encore le plaisir de jouer ensemble. De bénéficier d’une complicité et de conseils avisés : Alfio Origlio accepte donc ce rôle de grand frère qui propose quelques clefs harmoniques, sur le piano acoustique comme sur le Fender-Rhodes.
Et le partage se fait. Et le repas est convivial !
Deux beaux thèmes au tempo médium : Song for Zia et Iberico.
Dès l’introduction nous sommes plongés dans les harmonies et arpèges « étranges et familiers » d’Alfio, immédiatement reconnaissables, et qui le distinguent entre cent pianistes de jazz. Mais, alors que Song for zia introduit par un ostinato rythmique du piano une mélodie belle et simple de l’alto d’Alexis, dont le son n’est pas sans rappeler celui d’Eric Prost, Iberico nous emmène au cœur du pays qui « pousse un peu sa corne », avec une exposition émouvante d’une grande clarté, du thème à la contrebasse,. Alors que Song for Zia propose quelques points d’orgues qui interrompent le tempo, Iberico propose un pont joué en chœur par la contrebasse, le piano et le saxophone soprano. Je ne vous parle pas des chorus de piano ou Alexis comme Alfio, excellents. Alors que Song for Zia en cherche l’acmée dans un dialogue free du saxophone et du piano Iberico propose un groove entrainant où la danse est privilégiée.
Démonstration est faite, qu’ici comme souvent dans le jazz, une écoute distraite est exclue, et que l’attention passionnée révèle des beautés imprévues.
Tout le disque de l’Assaï jazz trio est à l’avenant : rempli de belles surprises qui ne se donneront qu’à ceux qui aiment vraiment.
Quelques exemples.
D’abord, pour être très clair, nous retiendront deux thèmes. Dans lesquels le trio a décidé de montrer qu’il pouvait se passer du « grand frère » sans faire des bêtises : Les Bonds de Zia et Patate tonique. En trio donc : les Bonds de Zia, c’est un thème décidemment be-bop, où le marquage rythmique permet à l’alto de prendre son envol et de nous proposer un beau chorus . Patate tonique, malgré la plaisanterie éponyme, n’est pas construit sur une succession de pentatoniques* ; mais c’est une sorte de biguine mâtinée de gamme myxolydienne, proposée dans un tempo vif. Où Matthieu peut montrer la finesse de son jeu, avec un pont qui entraîne irrésistiblement le thème vers un groove rock plus musclé. Là encore Alexis se taille la part du lion, mais le trio se plaît à déconstruire l’ostinato de départ tout en conservant la tournerie rythmique
Et en quartet cette fois : alors que Le vieux Carré nous propose sur une carrure de blues quelques improvisations sur fond d’harmonies assez modale (le thème est bien plaisant, le son du Fender Rhodes et de ses pédales d’effet est plutôt remarquable !) Stella by starlight (« la » reprise du disque) s’invite parée en africaine, comme on ne l’avait jamais vue briller. Dansant sur un tempo où quelques tambours se souviennent du ciel…
Dans les pas, engagé par un ostinato de basse d’une simplicité apparente, avance sur un tempo appuyé, rock pour tout dire… Et se révèle construit sur une mesure impaire ! Ah Verlaine ! La Didonnade, (thème d’Alfio) fait penser aux compositions d’Aqua. Mais ici, c’est le piano Fender qui dynamise le thème et soutient un beau chorus de soprano!
Et Little bossa : c’est du jazz sans jazzisme, d’une belle facture moderne, où le piano acoustique et le Fender échangent leurs rôles.
Restent deux thèmes lents qui, à eux seuls, pour tous les amoureux du songe et des voyages, pourraient justifier l’acquisition du CD :
Folk Song, c’est un tempo très lent donné par les balais sur la caisse claire, introduisant une ballade qui ne laisse pas de faire songer au chant populaire irlandais. Où la mélodie, d’une grand simplicité permet entre autre, d’entendre un grain de contrebasse et des harmonies riches construites sur une harmonisation de base élémentaire. Enfin Cirrus, l’autre composition d’Alfio, c’est cette atmosphère hésitant entre la mélancolie et la sérénité contemplative, où les nuages viennent converser avec l’eau, afin qu’Alex la Glisse puisse évoluer à l’infini.
Bref : si vous n’aimez que le jazz frénétique, les clichés techniques qui « envoient du lourd » et autres décibelleries moutonnantes sur fond de grosses sonos, vous n’y trouverez pas votre compte. Passez votre chemin.
Mais si vous aimez la musique de très bonne facture, le jazz qui sait marier la sérénité et la vitalité d’une musique populaire, si vous avez le temps d’écouter un disque qui propose avec modestie une musique où la simplicité sans emphase se conjugue avec une beauté sans grandiloquence, vous aimerez, du Assaï jazz trio, « Looking four featuring Alfio Origlio »
* gammes de cinq notes