Derrière la baie vitrée, le vent, acharné, fait valser les aiguilles du cyprès chauve. Elles virevoltent en tous sens. Pluie orangée, ininterrompue. Dans ce puissant manège, une voix s’élève, lointaine, scandant le rythme, un appel poétique.
Ce pourrait être une introduction à ce nouvel album de Zaza Desiderio, « Osmoses », en trio avec Rémi Ploton au piano et Michel Molines à la contrebasse. Un album plein de forces et de pouvoir d’évocation.
Dans ce premier morceau, E o Fim da Procissao, la batterie avance somptueuse. Elle déroule sa mécanique sensuelle, ample, soyeuse, alerte. Le piano se fait dense, lyrique, de bout en bout captivant. La contrebasse en appui, en contrepoint ou en équilibre, assure une assise parfaite. La mélodie déploie une joie et une solennité, dans des contrastes de rythmes bienvenus. Les musiciens jouent un jazz à la modernité assumée, avec un gros travail sur le son.
Cette impression est encore renforcée avec la présence sur le deuxième morceau, L’enchanteur, du guitariste Gilad Hekselman. Effets sur le piano, intensité de la mélodie jouée à l’unisson, puissance de la batterie, son unique du guitariste, touché sensible du pianiste, groove de l’orchestre, solo de contrebasse comme une pluie de notes. Du jazz comme je l’aime, à la facture impeccable.
Il s’ensuit une sorte de fugue jazz pour piano seul, Voyageur 1 miniature, un intermède (trop court) qui nous fait glisser dans Miss Ifa, un morceau tout d’atmosphère, avec un ostinato au piano, omniprésent, qui laisse toute latitude à la batterie et à la contrebasse pour s’exprimer. On est pris dans la transe. Le morceau se resserre sur l’essentiel, un condensé de mélodie. De la belle ouvrage.
L’expansion miniature, sur des nappes sonores évanescentes, la contrebasse monologue, profonde et nostalgique et son chant vient clore cette face A (puisqu’il s’agit d’un vinyle).
Sir Kev est un thème très syncopé et très moderne où l’écoute des trois est au maximum et la réactivité constante. C’est enlevé. Le batteur a intégré à son instrument des sons étendus. Ça sonne diablement. Le piano se fait de plus en plus novateur sur la fin.
Merveilleux travail pour cette ballade aérienne, Crossing Lines, à la Mickaël Brecker, où le son du saxophoniste Grégory Sallet transcende le thème. C’est fougueux, majestueux. Là encore, le contrebassiste fait des prouesses. On retrouve un côté intimiste avec le solo du saxophoniste très inspiré. Osmose indispensable. Ça crève les oreilles. Beauté du piano qui clôt les improvisations.
Vient le temps d’expression du batteur seul sur la Spirale Miniature. Le son est très travaillé. Là encore moment trop court, qui sera développé en concert.
Le disque se termine par un thème très joyeux, Bien arrivé, très écrit, comme un « au revoir » et surtout un « à très bientôt ». Où le batteur s’en donne, à cœur joie.
La voix s’éloigne. Pyrite Miniature, tout droit extraite d’une mine dans le Minas Gerais , pépite précieuse, tout comme cet opus.
On connait Zaza Desiderio pour son éclectisme et ses multiples expériences musicales. C’est un artiste qui a du style. Sa batterie magnifie l’album de A à Z. Il a su s’entourer de coéquipiers à sa mesure, ce qui donne un album de grande volée. Les thèmes enlevés, la part de jeu et d’écoute entre eux élevée à son point culminant, des créations assumées et vivantes (vivement les live pour en profiter au maximum) d’une grande modernité, la production très soignée, des sons acoustiques et électroniques jusqu’à la pochette poétique, énigmatique, tout concourt à faire du bien nommé « Osmoses » un grand disque que mélomanes et programmateurs/programmatrices sauront apprécier à sa juste valeur.
NdlR : le graphisme de la pochette est signé d’Hélène Berly qui est déjà en charge de la charte graphique du Hot Club de Lyon et du Solar et de quelques pochettes de disques de jazzmen, entre autres.