Sélection CD août 2024 – les repérages de l’été (1/3)

Sélection CD août 2024 – les repérages de l’été (1/3)

Les repérages de l’été (1/3)

Des albums qui se veulent engagés, emplis de conscience sociale, délivrant de la soul-jazz, du R&B ou du rap-hop avec une patte résolument rock, avec des artistes comme l’Américano-Haïtien de Paris Wolfgang Valbrun, la bombe de Brooklyn Bette Smith ou encore le sud-Africain SmogieT., et un autre qui, très positif, célèbre à l’inverse le bonheur d’un chemin de vie réussi avec le second opus du plus californien de nos grands trompettistes, Ludovic Louis. Première pioche dans mes repérages de l’été en attendant de vous présenter quelques autres pépites de la rentrée automnale.

 

WOLFGANG VALBRUN «Flawed by Design» (Jalapeno Records)

New-yorkais d’origine haïtienne mais installé à Paris depuis l’adolescence, l’auteur-compositeur-interprète Wolfgang Valbrun s’est fait remarquer en 2010 sur le circuit de la capitale avec Marvellous, avant d’être recruté en 2014 au micro du groupe de jazz avant-gardiste britannique Ephemerals avec lequel il a signé quatre albums et fait le tour du monde jusqu’en 2020. On le connaît aussi en parallèle pour ses collaborations avec la légende du hip-hop soul, le beat-maker Guts.

Après un EP en 2023, il s’affirme aujourd’hui sous son propre nom avec «Flawed by Design», un plein album de douze titres engagés qui portent un regard introspectif sur la fragilité humaine et remplis de conscience sociale notamment envers les minorités. Sur la forme, cet album enregistré à Bristol (UK) oscille entre soul et jazz, mais avec une patte délibérément rock.

Une énergie que l’on ressent dès l’intro avec Sun don’t shine et la guitare au son très eighties d’Adam Holgate sur ce R&B bardé d’une lourde basse (on n’a pas trouvé son nom..) pour porter la soul du chanteur. Et que l’on retrouve sur le plus cuivré, mais basique Cyclone qui suit avec un air de déjà entendu. Parmi les pépites de l’opus, on aime le puissant Love Yourself qui figurait sur son EP, avec le piano appuyé de James Graham qui tient également l’orgue sur ce R&B cuivré avec particulièrement la trompette de Damian McLean-Brown et le sax de Thierry Lemaître. Quand arrivent les chœurs féminins, ça balance grave et l’on est là quasiment chez Joe Cocker.

Plus bluesy mais toujours avec des cuivres abrasifs et une grosse basse, Keep your head up offre un refrain qui fonctionne bien, avant une autre pépite, le très slowly Some Day où la voix se fait plus lascive sur cette ballade en apesanteur, entre piano suspendu, reverb’ de guitare et trompette en profondeur. Avant une autre ballade entre soul et R&B I’ll be your Prey par trop classique, c’est toujours ce son post-wave des années 80-90 et de la pop-rock que l’on entend sur Where is the Place qui sonne comme un hit. Celui d’une époque où l’on écoutait Depeche Mode ou The The, Hipsway comme Love and Money, comme le rappellent la guitare et la voix sur Almighty.

Autre pépite enfin parmi nos préférées, Paris, chanson d’amour à la patrie d’adoption de «Wolf» comme on l’appelle ici, avec un superbe son de guitare très post-seventies. Et c’est encore cette guitare qui donne la profondeur du plus sombre Shadows, sur le rythme entêtant du batteur Matt Brown et où la voix rappellerait un Terence Trent d’Arby. Sombre aussi est la couleur de Baptist, sorte de marche funèbre de la Nouvelle-Orléans à l’iconographie religieuse abondante, croisant rythme lourd, riff de guitare et cuivres chavirants, entre blues, rock’n’roll et punk, un peu à la manière d’un Jack Delorean avec Tankus the Henge. Avant de conclure sur le titre éponyme, Flawed bye Design, bien (trop) classique lui aussi dans sa forme pop-rock et qui retiendra moins notre attention.

 

LUDOVIC LOUIS «If everything is written» (LL Productions / L’Autre Distribution)

Après l’excellent «Rebirth», son premier album sous son nom paru début 2022 et qui nous avait conquis, on retrouve avec plaisir le plus californien de nos grands trompettistes avec «If everything is written», nouvel opus pour ce normand d’origine martiniquaise et sideman de stars des deux côtés de l’Atlantique. Un disque toujours baigné des multiples influences qui traduisent ses émotions, de la soul au funk en passant par la musique caribéenne de ses origines. Mais aussi des pointes de rock US bien heavy comme il a eu l’habitude de le pratiquer notamment aux côtés de Lenny Kravitz durant une décennie. Un travail mené avec une autre équipe de pointures, voulu très positif en évoquant l’amour et le bonheur trouvé dans un chemin de vie réussi, où Ludovic Louis prouve une fois encore «qu’il faut croire en ses rêves».

Seul bémol à ce bel album, treize titres défilent sur la platine alors que la pochette n’en compte que douze (!), et l’on espère ne pas se mélanger les pinceaux en les évoquant…

Comme pour rendre hommage à ce soleil qui a brillé sur sa carrière, Sunrise   courte virgule en forme de générique ouvre les festivités sur un groove speed de funk porté par la basse d’Abdelaziz Sadki dit Zizou, et une rythmique assurée par la guitare de Ralph Lavital. Une belle histoire narrée dans la douceur (A beautiful story) avec une trompette toujours très mélodique et chantante, qui va prendre son élan sous les baguettes à la fois souples et fermes de l’agile Yoann Danier à la batterie. Premier des divers invités en feat. sur cet album (où l’on ne sait pas non plus où joue le guitariste Anthony Jambon pourtant crédité), Jowee Omicil pose un puissant chorus de sax alto sur Never Give Up, titre entre rock et jazz-rock prog’ ouvert par la guitare où l’on ressent la facette Kravitz du compositeur, mais un brin daté et disons-le plutôt, saoulant. Pour Le Temps qui suit, c’est la comédienne Rossy De Palma dont on entend la voix inattendue sur ce poème qu’elle a écrit spécialement sur les volutes de Fender Rhodes et d’orgue du claviériste Nicholas Vella. Le jazz-funk de la west-coast y reprend ses droits comme encore sur Live and Learn, croisant un beau tricot de basse sur une batterie énergique et où la trompette vient donner de la « voix ». Pour le titre éponyme If everything is written, c’est bien celle, superbe, de l’inattendue Gail Ann Dorsey (la fabuleuse bassiste de Bowie !) que l’on entend, après qu’elle l’ait prêtée par ailleurs aussi à M.

Si Waves, teinté de latino, bénéficie des programmations drums & bass de Roland Gajate Garcia, Sleepless Night retrouve la puissance kravitzienne, notamment côté batterie et guitare pour faire tourner le gimmick. On peut dire que ça pousse derrière, et la voix de Ludo cette fois, comme il l’avait déjà fait dans Rebirth sur Everybody, embarque le morceau dans l’ambiance très américaine d’une block-party entre hip-hop et hard-funk.

Selon la tradition de l’alternance, Love is a beautiful thing apaise le tempo, pour une ballade jazz-groove là encore avec un thème simple, mais très mélodique portée par un Fender Rhodes en évidence, avant de réenclencher la grosse machine à groove puissamment cuivrée sur l’infernal If you want me et sa trompette qui déchire. Chaude ambiance qui ne risque pas de retomber avec le festif et tubesque Give me some Loving, dernière envolée de jazz-groove funky bien dans l’esprit de Rebirth, avant qu’une apaisante virgule  (Moonlight) mariant dans la douceur fine guitare et trompette, agisse comme une berceuse pour clore un album nettement plus tonitruant.

 

BETTE SMITH «Goodthing» (Kartel Music Group)

Après un premier album «Jetlagger» qui l’avait révélé, on a salué dans ces colonnes à l’automne 2020 «The Good, the Bad and the Bette» où cette jeune furie black native de Brooklyn nous retraçait son parcours depuis son enfance, bercée par le gospel dès l’âge de cinq ans, chaque dimanche dans l’église où son père était chef de chœur. Les relations conflictuelles avec sa mère l’ont un temps amenée à se perdre dans les excès en tous genres, mais avec résilience, elle a su trouver une paix intérieure en suivant le chemin de sa voix. Et quelle voix! Un sauvage mélange de rock haletant et de heavy soul sudiste, des textures en dents de scie entre cris les plus aigus et gravité de basses abyssales. Considérée désormais comme la nouvelle sensation soul de Brooklyn, la Bette Smith en question s’inscrit avec forte personnalité dans la lignée des « bêtes » de scène qui l’ont précédée comme Betty Davis ou Betty Wright, mais aussi bien sûr les queens Tina Turner ou Etta James, sans oublier Janis Joplin pour l’abrasion ni les grand’mamas historiques comme Big Mama Thorton ou Koko Taylor.

En juillet est sorti son dernier opus, ce «Goodthing» réalisé en synergie créative entre Brooklyn et Londres puisque la dame a confié la production à l’Anglais Jimmy Hogarth, grammy-awardisé pour son travail avec Tina Turner, Amy Winehouse ou James Blunt. On y retrouve naturellement sa voix à la fois torride et impertinente, déployée à cors et à cris dans un cocktail des mêmes ingrédients, mixant soul effrénée, rock’n’roll explosif, funk salace, blues écorché et gospel déchirant.

Goodthing en ouverture est un blue-rock pêchu qui envoie du lourd (cette patate me rappelle le hard-funk des Mothers Finest, pour ceux qui s’en souviennent..) avec une lourde basse, un clavinet, et de méchants riffs de guitare à la Black Keys, tout en groovant façon Stevie Wonder. Une basse qui porte voix et chœurs sur Happyness et son fond d’orgue bien seventies, avant une première ballade très slowly, Eternal Blessings entre voix enjôleuse et douceur d’une guitare non sans beaucoup rappeler le célèbre People get ready de Rod Stewart avec Jeff Beck.

On ne dérogera pas à l’habituelle alternance des titres pour ce genre de disque où elle est strictement respectée, avec dans la foulée la pépite Money, funk-rock qui groove sous une basse puissante et on l’on adore les chœurs sur ce titre au parfum du P. Funk d’un George Clinton. Et l’on revient à la belle ballade américaine et sa mélodie de guitare acoustique avec Neptune, folk-rock où la voix toujours impec’ de Bette lorgne ici vers Tracy Chapman ou Joan Armatrading.

Le temps d’un R&B bien speed et cuivré (Whup’Em Good), et revoilà une superbe ballade (Time goes Slower) au rythme des percussions, croisant orgue et guitare et où la voix de la chanteuse est nimbée de ses réminiscences gospel. On reste dans cette même recette pour l’atmosphère tamisée de Darkest Hour avant de se faire choper par la guitare hypnotique de More Than a Billionaire, entre blue-rock et R&B qui m’évoque Ilene Barnes.

Autre pépite, le tubesque Lived and Died est un folk-rock qui puise dans la country, tandis que Beautiful Mess fait presque chalouper le R&B vers le reggae. Son refrain est plus pop, comme d’ailleurs sur la ballade Care qui suit, avant de conclure toujours dans un esprit cool et apaisé par No More Love Songs dans le charme d’un guitare-voix. On l’aura compris, un album tout à l’image de la voix en dents de scie de Bette Smith, entre miel et dynamite…

 

STOGIE T. «Shallow» (Motif Records/ Sakifo Records / PIAS)

Ex serial-rappeur de Tumi & The Volume, Stogie T. (alias Tumi Molekane)  est un vétéran du hip-hop sud -africain qui, s’il se prévaut d’être la voix du peuple, entend sortir des clichés bien-pensants du rap «conscient» stéréotypé et banalement commercial. Observateur pragmatique du cynisme prévalant en Afrique, entre corruption, pillages et désordre sociétal, l’artiste engagé veut offrir un contrepoint à l’air du temps par le biais de sa poésie incisive. Son nouvel EP «Shallow» offre six titres évoquant la psychose collective qui s’est notamment emparée du pays pendant la pandémie de Covid, période durant laquelle cet observateur pragmatique a conçu et enregistré ce nouvel opus très inspiré où divers invités ont été conviés en feat.

Comme la chanteuse de L.A., Brittney Crush sur 8O’s Love en intro avec un rap sous effets de son, une basse prégnante et un beat puissant assez rock. Un flow rageur que l’on retrouve sur Zimikile qui suit avec la présence de Msaki, chanteuse et compositrice sud-africaine basée à Londres. Elle apporte sa belle voix et de jolis chœurs sur ce titre pop-soul très seventies aux relents de Fleetwood Mac. Toujours porté par une ligne de basse percutante et un refrain bien pop-rock, voilà Too Late for Mama avec cette fois Bonj, chanteuse signée chez Universal qui apporte son flow porté par un piano appuyé. Il y a encore une patte rock, notamment via la guitare qui prend sur la fin des couleurs hendrixiennes, pour le titre éponyme Shallow, partagé avec le chanteur Apu Sebekedi, figure de la scène de Johannesburg en matière de rap-hop.

Autre invité de marque, le grand poète militant Saul Williams, qui a travaillé notamment avec The Fugees ou Blackalicious, vient slammer sur Biko’s Ghost, entêtant titre pop-rock avec toujours de belles guitares et un sax au loin. Ceux qui aiment ce fameux son distinctif du mitan des eighties, aux guitares comme dans les claviers (et notamment le gros son de synthé basse), l’époque d’un Jean Beauvoir par exemple, devraient apprécier encore le dernier titre Dux Africanus, mêlant flow vocal et vocoder sur cette ballade au gré d’une ligne de basse résolument porteuse.

 

 

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